Notre français

Gleason Théberge
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Gleason Théberge – Notre français québécois entretient une relation complexe avec celui des Français d’Europe. Nous avons en effet hérité d’un parler jadis semblable, que des siècles sans contact entre les deux peuples ont différencié progressivement, sous l’influence de leur environnement linguistique.

Fort de 67 millions de locuteurs, il n’est pas surprenant qu’en France on demeure peu craintif de la survie de la langue. Paresseux, on y adopte aisément le vocabulaire de l’anglais dominant, parfois pour faire chic, à la manière dont nous abusons chez nous aussi des expressions liées à l’informatique et aux communications. Show (chô) a remplacé spectacle, comme stage (stédge) est devenu plus fréquent que scène; et la radio francophone parle de playlist (pléliste) plutôt que de sélection musicale. Et que dire de cette barbare appellation de centre d’achats qui traduit bêtement le shopping center (chòpign’ sènteür)? Ce ne sont pourtant pas là des achats qui sont regroupés mais des commerces : un fait qu’évoque mieux l’élégante expression de centre commercial, comme on dit centre sportif ou centre équestre.

De nos jours, sur les huit millions d’habitants du Québec, un peu plus de six millions se déclarent francophones : c’est à peine dix pour cent du nombre de nos cousins français. Il y a de quoi comprendre qu’ils se sentent moins menacés que nous par l’invasion linguistique de l’anglais. Là-bas, on n’hésite pas à parler de shopping (chòpigne), alors que chez nous c’est du magasinage que l’on fait; leur sponsoring (spònsòrigne), c’est notre commandite; leur e-mail (himéle), notre courriel… 

Nous retrouvons pourtant chez nous aussi une affection envers les termes anglais. Dominance économique aidant, la terminologie des appareils souvent inventés mais surtout mis en marché aux États-Unis nous apparaît, bien sûr, d’abord en anglais. Alors que le français privilégie la logique des 24 heures, nos cadrans numériques ne se rendent qu’à 12, parce qu’en anglais on a pris l’habitude de préciser s’il s’agit des premières douze heures du jour (AM) ou des dernières (PM). Et ce sont, cette fois, les Britanniques qui ont les premiers conservé les expressions latines ante méridiem (AM) et post méridiem (PM); tout comme en guise de bilan, ils préfèrent parler du post mortem d’un projet ou d’un événement. Ne parlons-nous pas d’un avant-midi au lieu d’une matinée, de dîner pour le repas du midi, alors qu’en France on s’offre un petit-déjeuner à midi et on dîne en soirée… Et c’est sans compter l’ancrage indéracinable de la mesure du bois en pouces et pieds, ou de la température en oFarenheit, que les bulletins météo présentent en oCelsius. Bien sûr, il y a longtemps qu’au Québec on call (kaòle) l’orignal, mais un pas de plus est franchi dans Distrrict 31, où l’on entend « C’est ton call » pour « C’est toi qui décides ». 

Y a-t-il de quoi s’inquiéter de la survie du français au Québec? Évidemment, mais certains éléments me rassurent. Dans les années 50, le vocabulaire de l’automobile n’était qu’en anglais. De nos jours, il n’y a que le magasin du Pneu Canadien qui a conservé l’usage du périmé tire (tyeüre).

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