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Appeler l’hôpital
Gleason Théberge – Quand on se parle, il est possible d’utiliser raccourcis, des détours. Et si les propos sont trop décousus, la présence de l’autre permet, si nécessaire, de demander des explications, qui précisent les propos.
C’est ainsi qu’il arrive de dire qu’on veut appeler l’hôpital ou les assurances, tout comme il est aussi fréquent d’entendre qu’on appelle la police ou la sécurité. Or, si ces expressions ne créent pas de confusion, elles n’en sont pas moins un peu brèves, voire inexactes si on les utilise à l’écrit.
C’est plutôt à l’hôpital ou à une compagnie d’assurances, qu’on peut faire appel. Appeler la police, comme on en a l’habitude, c’est confondre le service de police et l’individu qui l’assure (policier.e.s). Personne ne chercherait normalement à entrer en contact avec une réalité qui n’existe que dans l’imaginaire et qui ne pourrait répondre. On n’appelle que des entités qui sont en mesure de répondre, soit qu’elles existent bel et bien, soit qu’on leur invente une personnalité. Il fallait un Yvon Deschamps pour interpeler le bonheur ou un Séraphin Poudrier pour parler à son argent. On connaît pourtant bien ces raccourcis, fréquents en littérature ou au théâtre, qui prennent une chose pour une autre et permettent de prétendre avoir mangé son assiette, alors que c’est de son contenu qu’il est question.
Quand Félix Leclerc chante ainsi que ses souliers ont couché chez les fées ou qu’on accuse à l’occasion quelqu’un d’avoir les yeux plus grands que la panse, pour dire qu’il s’est attaqué à une nourriture ou à un projet trop importants pour ses capacités, c’est encore de poésie courante qu’on fait usage. En matière de dialogue quotidien, ces tournures ne sont évidemment pas condamnables. Les proverbes les utilisent (ventre affamé n’a pas d’oreilles). Les exagérations dont nos émotions ont besoin pour en marquer l’intensité les suggèrent souvent, comme dans le C’est le plus beau jour de ma vie, qu’on peut exprimer avec sincérité plusieurs fois au cours de son existence.
En fait, c’est surtout quand on écrit qu’un problème peut se poser. Ces effets de style sont d’ailleurs le cauchemar des traducteurs, puisqu’ils n’ont souvent de sens que pour une seule langue. Avoir une araignée dans le plafond, qui en français affirme qu’on a l’esprit dérangé, peut se traduire par Have bats in the belfrey (avoir des chauves-souris dans le clocher). Ce que ces expressions disent, par exemple, quand on les prend au pied de la lettre (!!), c’est qu’on peut appeler (à) un bâtiment où travaille le personnel médical, mais où ce n’est évidemment pas l’hôpital qui répond, mais une personne responsable des appels.
À l’écrit, on peut ainsi mentionner un appel à l’hôpital, à un poste de police, aux bureaux d’une compagnie d’assurances, où généralement des préposé.e.s sont en mesure de nous entendre (ce qu’une bâtisse ne peut pas faire) et, généralement, nous répondre dans des délais raisonnables… quand c’est possible!