Mots & mœurs – Gleason Théberge

Gleason Théberge
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À l’heure!

Gleason ThébergeNos appareils domestiques se sont joints à nos simples horloges pour nous rappeler que le temps nous est mesuré. Nous aurons d’ailleurs bientôt la tâche biannuelle de réajuster d’une heure tous nos cadrans sans que, dans certains cas, leur signification originale nous soit connue.

Il est cependant facile de percevoir la relation entre l’heure et les mots alors (à l’heure) et lors (pendant), mais le illa hora latin (à cette heure) dont ils dérivent a aussi donné naissance aux vieux ores, puis or. Ce Ores n’est encore présent que dans d’ores et déjà (depuis longtemps), mais or relie aujourd’hui deux énoncés, souvent en les dissociant « Vous prétendez avoir perdu votre montre, or je sais que vous l’avez plutôt vendue ». Ce or a donné naissance au encore, puis à désormais, qui équivaut à notre maintenant, auquel il ajoute et pour toujours.

Ce maintenant provient d’ailleurs d’un main-tenant (qui a aussi produit le verbe maintenir), qui caractérisait un moment où deux personnes, souvent en marchandage d’un prix, se tenaient la main pour signifier un accord et pour affirmer qu’ils allaient le maintenir. Les mots ont ensuite été fusionnés pour décrire simplement qu’une activité est en train d’avoir lieu ou pour ouvrir sur une déclaration nouvelle, comme dans « Nous avons réglé notre affaire, maintenant allons fêter notre entente ». On notera cependant que le maintenant n’appartient qu’aux propos en cours. S’il s’agit de raconter, on préférera alors ou tout de suite. Un personnage dira ainsi : « J’en ai besoin maintenant », mais le narrateur écrira : « Il déclara qu’il en avait alors besoin ».

Quant au encore, il décrit une portée plus longue que maintenant pour signifier à nouveau (Il a encore été récompensé) ou indiquer que les effets d’une action ont une durée prolongée (Deux ans plus tard, on se rappelait encore ses anciens exploits). Il y a là une portée assez semblable au désormais qui prolonge le mais, lequel évoquait jadis quelque chose comme plus (Des beaux jours, j’en veux encore plus), dont le S final est prononcé [plusse], l’opposant au plus prononcé [plu], dont la portée est négative (Du verglas, je n’en veux plus). Un curieux phénomène offrant la même graphie à deux expressions de sens contraire.

Ce mais, on le retrouve aussi dans le jamais, dont le ja auparavant utilisé seul évoquait l’avenir, et que le (négatif comme dans dé-faire) renvoie cette fois au passé. On dit déjà pour dire qu’on s’attendait à ce que la chose arrive plus tard; et jamais quand on nie tout futur à une action. Ce jamais a remplacé un ancien oncques.

Ajoutons à ce vocabulaire courant le tard, qui a d’abord voulu dire lentement (tarde), et le tôt, dont l’origine est plus coquine. Il provient en effet de tortum (brulé, grillé) cousin du pain tôsté du grille-pain. On retrouve d’ailleurs le verbe torere, qui lui a donné naissance, dans la torréfaction et le torride des journées chaudes. Passé du premier sens de chaudement, tôt a ainsi équivalu ensuite à rapidement, puis à son sens moderne (de bonne heure). Sa descendance très riche nous offre de nos jours aussitôt, bientôt, plutôt, sitôt et tantôt

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