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Mots empaysés
Gleason Théberge – Sans connaître les origines diverses de nos ancêtres, nous savons que l’idée de race pure est une illusion de courte vue. Et sous une apparence stable, précisée par les inscriptions et les textes, les langues témoignent d’ailleurs de la diversité des rapports entre les peuples où se sont échangés objets, techniques et mots. De nombreuses langues sont aussi disparues, à l’occasion de conquêtes lentes ou brutales, et continuent d’en mourir avec les dernières personnes qui les parlaient. Au Québec, on s’inquiète ainsi à juste titre de l’influence internationale de l’anglais, et je ne suis pas le seul à contrecarrer la négligence paresseuse de celles et ceux qui utilisent en raccourci des vocables souvent moins précis que ceux dont dispose déjà le français.
Mais objets et idées ne cessent d’apparaître et leur conception suppose l’usage de nouvelles expressions, venues d’autres horizons, que le français emprunte et finit parfois par assimiler sans être menacé. C’est surtout le temps qui y contribue et la plupart des mots d’origine étrangère utilisés de nos jours cachent leur provenance, comme en témoignent divers moyens de transport à qui certaines influences successives ont donné une forme finale française.
C’est bien sûr le cas de nombreux mots d’origines latine ou grecque, mais cette fois, les premières sources que j’évoque sont le tchèque ou le hongrois, dont le mot kolesa, désignant un véhicule avec conducteur assis près des chevaux, a donné kaleshe en se répandant en Allemagne, puis le calèche français. Tout aussi transmis, sans doute d’abord d’un mot de Normandie, le kotchi (ou kocsi) hongrois, puis le kutsche allemand (ou cocchio en Italie) ont été repris sous la forme de coche quand il a été adopté en France. Il ne faut cependant pas le confondre à la coche que parfois on saute et qui est l’équivalent de l’encoche gravée sur une flèche pour la faire tenir sur la corde de l’arc. Notons que si l’ancienne calèche et surtout le coche n’existent plus que pour les touristes et les films d’époque, le mot cocher, pour celui qui les conduisait haut placé à l’avant de la cabine fermée, est encore utilisé dans les expressions plaisantes.
Un autre exemple provient de la production plus récente d’un véhicule spacieux construit à Berlin, la berline contemporaine. Une autre voiture, cette fois, dont les sièges plaçaient les passagers face à face, et qui pouvait être couverte d’une capote, a été nommée d’après ville de Landau, encore en Allemagne, où elle était fabriquée. Plus tard, le mot a fini par décrire le petit véhicule au berceau partiellement recouvert où l’on promène les enfants, un landau que nous appelons poussette. La limousine est d’ailleurs aussi née d’une référence à un lieu, puisqu’il s’est d’abord agi d’une charrette nantie à l’avant d’un banc, typique de la région française du Limousin, puis a désigné un véhicule luxueux. De nos jours, c’est la voiture à la carrosserie la plus longue le plus long à circuler sur les routes.
Ainsi, sans être nous-mêmes hongrois, italiens ou allemands, c’est sans affecter la cohérence du français que nous utilisons des expressions empruntées à ces cousins, pas aussi éloignés qu’on pourrait croire.