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Quand la recherche n’est pas libre
Émilie Corbeil – Le 24 janvier dernier, Louis Robert, un agronome possédant plus de 30 années d’expérience, était congédié par le ministère de l’Agriculture (MAPAQ) et cela, pour avoir informé un journaliste de Radio-Canada des conflits d’intérêts qui minent les études scientifiques produites au Centre de recherche sur les grains (CEROM). Au-delà du scandale politique qu’elle a engendré, cette histoire expose au grand jour les fragilités de la science, dont les finalités s’accordent mal avec son nécessaire financement, particulièrement dans un contexte de désengagement de l’État.
Une recherche orientée en fonction des besoins de l’industrie
Ce que Louis Robert a communiqué à Radio-Canada, c’est une note interne dénonçant « l’ingérence de quelques membres du CA [du CÉROM], et notamment de son président, dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ». Le CÉROM, dans cette note, est décrit comme « une organisation contrôlée par des intérêts incompatibles avec l’intérêt public ». En effet, le CÉROM, malgré qu’il profite d’un financement public à hauteur de 68 %, est administré à majorité par des membres de l’industrie. Le seul représentant du MAPAQ siégeant au Conseil n’a pas même le droit de vote.
Cette ingérence dans la recherche, le président du CA, Christian Overbeek, la confirme lui-même en avouant qu’il a désapprouvé des chercheurs qui concluaient que l’usage de semences traitées aux néonicotinoïdes, un type d’insecticide soupçonné de nuire aux insectes pollinisateurs, n’avait pas d’impact significatif sur les rendements agricoles. Les études en cause ont par ailleurs été longtemps retenues par le MAPAQ, qui, contrairement à son habitude, ne les publiait pas sur son site.
Le point sur les néonicotinoïdes
Maintenant que les études en question, datant de 2017, sont accessibles sur le site du MAPAQ, elles ouvrent la voie à une analyse de fond quant à la pertinence de l’usage qui est actuellement fait des insecticides de type néonicotinoïde.
Souvent accusés par les associations environnementales d’être coupables de la disparition annoncée des pollinisateurs, dont des abeilles à miel domestiques, les néonicotinoïdes ont la vie dure. Plusieurs pays en ont par ailleurs interdit l’utilisation.
Ces accusations, Simon Dutil-Paquette, propriétaire de Miel de la Garde et apiculteur, doute qu’elles soient entièrement justifiées. En effet, les abeilles au sein de son exploitation biologique ne sont pas exposées aux « néonics » et elles ne sont pas à l’abri pour autant. C’est plutôt le varroa, un acarien importé d’Asie, ainsi que les nombreux virus qu’il transporte qui seraient les grands responsables des malheurs des abeilles domestiques.
Par ailleurs très bien informé, il sait que les études qui tendent à démontrer l’impact négatif de ces insecticides sur les abeilles n’arrivent pas à des conclusions fortes. Il est en effet bien complexe de démontrer les effets d’une substance sur les insectes, à moins qu’elle ne les tue directement. Les abeilles à miel ainsi que bien d’autres espèces utiles ne sont pas tuées « sur-le-champ » lorsqu’il y a présence de néonicotinoïdes dans leur environnement. Il faut donc chercher ailleurs, dans leurs graisses, leur comportement ou leur succès reproductif pour y trouver des modifications qui pourraient être attribuables à certains insecticides.
Si l’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de conclure hors de tout doute que les néonicotinoïdes sont les principaux responsables du déclin des pollinisateurs, en quoi est-il approprié d’en limiter ou même d’en interdire l’usage?
C’est précisément à cette question que les recherches produites au CÉROM et désapprouvées par son conseil d’administration apportent une réponse.
Poser la bonne question et y répondre
En fait, avant même de se demander si l’usage de tel ou tel intrant agricole est nuisible à la santé humaine ou à l’environnement, on doit d’abord évaluer son utilité. Cet insecticide, cet herbicide ou cet engrais permet-il d’améliorer les rendements agricoles ? Si tant est que l’on réponde à cette question par la négative, quel besoin d’aller chercher plus loin?
Voici donc que certains scientifiques du CÉROM ont pris l’initiative de mettre les semences traitées aux néonicotinoïdes au test et qu’en 2017, les résultats de leurs études ont démontré que leur usage n’améliore pas significativement les rendements du maïs et du soya, les deux cultures où elles sont le plus massivement utilisées dans la province.
Dans bien des cas, les rendements ne compensent pas même pour le prix plus élevé des semences qui sont traitées. Sachant qu’au Québec, environ 60 % de la production de soya et près de 100 % de la production de maïs sont faites à partir de ces semences, on en déduira à juste titre que l’industrie agricole déverse des quantités importantes d’insecticides dans la nature sans que cela ne soit d’une quelconque utilité.
On comprend toutefois que cette nouvelle n’a pas réjoui les producteurs et les distributeurs d’intrants chimiques; ceux-là mêmes qui siègent au CA du CÉROM. Et maintenant, à quelle réponse serions-nous, citoyens, en droit de nous attendre de la part de nos élus ? Si plusieurs en appellent à une réforme de la gouvernance au sein du CÉROM, on doit admettre que ce sera bien loin d’être suffisant.
Un nécessaire, mais difficile changement de cap
Simon Dutil-Paquette parle volontiers de la forte résistance qu’il sait exister chez maints agriculteurs dits traditionnels. Ces derniers risquent d’être particulièrement réfractaires à tout changement de pratiques. L’abandon de certains intrants chimiques prendrait des airs de saut dans l’inconnu, dans un contexte où les marges de profits sont bien minces et les coûts d’exploitation bien élevés. Il croit que le paquebot changera de cap, mais bien lentement.
Aussi, toute cette affaire nous force à constater que la science est victime d’un certain dirigisme et que, parfois, elle n’a de scientifique que le nom. Devrait-elle être financée par ceux qui ont un intérêt particulier à la voir arriver à une certaine conclusion plutôt qu’à une autre ? Comment assurer la primauté de la confiance et de l’intérêt du public sur les visées pécuniaires de l’industrie ?
Pour plusieurs, c’est de la bouche des canons de l’État que la réponse doit venir. La recherche, la vraie, n’est jamais intéressée. Si le CÉROM avait été entièrement public, il y a fort à parier que nous ne serions pas témoins d’une pareille bavure. Malheureusement, la mode est au désengagement. À l’émission La semaine verte, madame Claire Bolduc, ex-présidente de l’Ordre des agronomes du Québec, mentionne que l’État, depuis la fin des années 1980, s’est progressivement retiré de plusieurs secteurs de recherche, y compris de la recherche en agriculture. Ce faisant, il a laissé à l’entreprise privée le soin d’orienter la science agronomique avec pour résultat qu’il apparaît clair aujourd’hui qu’un juste retour du balancier s’impose.