Spectacle d’ici

Ryan Truby, Heather Darnel-Kadonaga, Philippe Prud’homme, Isabella d’Éloize Perron et Bruno Tobon
Sylvie Prévost
Les derniers articles par Sylvie Prévost (tout voir)

Marathon musical

Sylvie PrévostCinq jeunes musiciens et un programme étoffé, presqu’uniquement composé d’œuvres romantiques, ont reçu les mélomanes curieux.

Philippe Prud’homme, un habitué d’Amal’Gamme, a en effet invité quatre amis à faire de la musique avec lui. En route donc pour la critique de musiciens de la relève.

Le samedi 29 septembre 2018 : Philippe Prud’homme et ses invites : Philippe Prud’homme, piano; Bruno Tobon, violoncelle; Heather Darnel-Kadonaga, voix; Isabella d’Éloize Perron, violon et alto; Ryan Truby, violon. F. Chopin : Valse en do dièse mineur op. 64 no 2, Valse en la bémol majeur op. 69 no1, Valse en mi mineur op. posthume, Mazurka en si bémol majeur op. 7 no 1 et Mazurka en la mineur op. 17, no 4; F. Poulenc : Banalités; A. Scriabine : Préude en mi bémol mineur op. 1 no 4 et Étude en ré dièse mimeur op.8 no 12; R. Schumann : Fantasiestucke op. 73; A. Dvorak : Quatuor avec piano no 2 en mi bémol majeur op. 67, Allegro con fuoco et Finale; E. Elgar : Salut d’amour op. 12; G. Fauré : Berceuse, op.16 et Les berceaux op. 23 no 1; F. Kreisler : Schön Rosmarin; F. Schubert : Ave maria op. 52 no 6; P. Prud’homme : Reel et poème pour violon et piano; C. Franck : Sonate pour violon et piano en la majeur, Allegro; J. Massenet : Méditation de Thaïs.

Rien de plus difficile que de critiquer une chanteuse, car le timbre des voix touche l’auditeur dans ses goûts personnels, bien plus que le timbre des instruments. Disons que la voix de Heather Darnel-Kadonaga m’a paru manquer de racine, comme si son corps ne comprenait que les épaules et la tête, rien dessous. Peu de résonnance, donc, peu de richesse, pas d’ampleur. Le timbre est en outre inégal sur l’étendue du registre. Pour couronner le tout, les paroles des trois Banalités de Poulenc étaient incompréhensibles et de prononcer « nostraé » le mot latin nostrae est absolument incongru. Au-delà de la volonté et du désir de performer, il reste encore du travail à faire pour que cette voix prenne son envol.

Ryan Truby, au violon, est un bon musicien, mais il doit acquérir plus de confiance en lui. Son interprétation de la Méditation de Thaïs manque de mordant. La mélancolie et la tristesse n’empêchent pas les profonds mouvements de l’âme que Massenet demande. Nul doute que son engagement à l’Orchestre métropolitain sera formateur. Il y rencontrera un chef pleinement à l’aise pour exprimer, au sens physique, de chaque œuvre son essence, tout en respectant ce fil invisible de sens qui tient le tout ensemble.

Isabella Perron, violoniste et altiste est d’une toute autre trempe. Parfaitement ancrée, elle démontre un aplomb inébranlable. Cette fermeté, cette forte présence en scène n’empêche pas la délicatesse dans l’interprétation. Douée d’un bon sens musical, d’une pensée qui se tient, elle tire du violon plus que de l’alto, des sons très purs.

Bruno Tobon, au violoncelle, est aussi un musicien à suivre. Il fait preuve d’une maîtrise technique enviable. Justesse, rondeur et plénitude du son, legato, forte et pianissimo, rien ne le démonte. Cet accomplissement lui permet de se livrer tout entier à ses interprétations dont l’intensité s’accorde tout à fait à la teneur des pièces choisies.

Me voici arrivée à Philippe Prud’homme, celui par qui ces découvertes ont été possibles. Je suis heureuse de constater son évolution des dernières années. Son sens du rythme s’est grandement amélioré. Son toucher est capable de beaucoup de force, même dans une très grande agilité. La prostration sur son instrument est heureusement chose du passé, sauf, c’est curieux, dans l’une de ses compositions, Poème pour violon et piano. Je ne sais pas quoi penser de ce jeune musicien et en y réfléchissant, je me perds dans des considérations psychanalytiques indues.

Je n’arrive pas à m’expliquer ce que je ressens comme un manque de logique, d’engagement et de tripes dans ses prestations. Des valses un peu saccadées, une composition sur laquelle il ajoute le théâtre de sa posture, des mazurkas qui sont au bord d’éclore, mais pas tout à fait. Parallèlement à cela, un Scriabine qui se dégage enfin d’une sorte de gangue de superficialité, un très beau reel de sa composition, entraînant, savant et éclaté. Ça n’est pas la Vérité qui parle, dois-je le rappeler, mais a-t-il suffisamment écouté de musique –écouté, pas entendu, pour en saisir la teneur émotive, la complexité, la spécificité, la place dans l’histoire et dans la psyché humaine? Peut-être est-il encombré par un désir d’imprimer sa marque sur la musique qu’il interprète avant d’avoir bien saisi le compositeur ou par-dessus lui? Peut-être est-il un être dont la sensibilité n’ose pas s’épanouir au-delà des apparences ou qu’il craint de choquer ou qu’il hésite à s’hasarder au-delà de l’architecture des pièces?

Prud’homme possède un talent fabuleux, mais qui manque encore d’assises. D’ailleurs, là où il a excellé (si j’excepte une pièce dans laquelle il m’a paru s’emmêler les pinceaux), c’est en groupe et en accompagnement. Dans les limites et les libertés qu’imposent ces formations, il est tout à fait à l’aise et occupe parfaitement sa place. On le sent enfin en contact avec quelque chose de solide. Est-ce là un bon filon pour l’avenir? À lui de voir.

print