Mots & mœurs

Gleason Théberge
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Campagne

Ce thème de la campagne fait écho à la banlieue du mois dernier, mais c’est surtout avec l’adoucissement de la chaleur d’août, compensée dans le propos des candidats aux prochaines élections, qu’il m’est apparu approprié de parler de cette campagne, qui couvre tout le Québec. Et commençons par cette expression de la campagne, qui n’a désigné qu’au XVIIIe siècle un territoire différent de la ville. Ce n’est ainsi pas tellement parce que pour une fois les chefs des formations politiques se déplacent hors des grands centres, où le maïs et les saucisses grillées sont plus abondantes, mais bel et bien par évocation des batailles que le mot finit par apparaître en français. Mais la campagne d’abord, c’est l’équivalent de la champagne et conséquemment du breuvage qu’on fabrique dans la région qui en a conservé le nom. On appelle doublets ces expressions de même sens issues des anciens parlers du sud de la France, où l’on disait oc pour exprimer son accord, et de celles du nord dont le oïl est devenu notre oui. Compagnon et copain sont d’ailleurs un autre exemple de ces doublets.

Or, on disait ainsi champagne au nord et campagne au sud pour évoquer toute étendue de pays plat. La langue des armoiries décrit d’ailleurs comme en champagne l’espace situé dans le bas d’un écu, où sur le blason du Québec sont placés, par exemple, les trois feuilles d’érable qui ont d’abord représenté le fait français avant que le Canada n’en pille la symbolique pour son drapeau. Les deux termes sont nés du latin campus (plaine), qui a été conservé aux États-Unis pour évoquer les espaces entourant des bâtiments universitaires, et que le Québec a aussi adopté pour parler de l’extension d’une université dans une autre ville que celle de la maison-mère. En latin, pourtant, campus s’opposait plutôt à urbs, le mot qui désignait la ville et d’où provient l’adjectif urbain. Or, le français a confirmé cette opposition quand les deux termes ont désigné l’espace des terres cultivées, parce que situées précisément en terre à surface plane, ou planche, comme on dit chez nous.

Parallèlement, le contexte de la plaine a conduit ensuite à des expressions comme faire campagne, c’est-à-dire s’équiper pour la bataille et de rendre à un endroit où l’ennemi pourra se présenter. Dans ce contexte de guerre, camper c’est monter un camp sur une plaine, en bâtiment généralement de toile, et préparer l’affrontement parce qu’à part les assauts dirigés contre les châteaux, c’est en plaine ouverte que s’affrontaient les armées régulières. Décamper c’était alors tout démonter, avec ou sans victoire, puis le mot a pris un sens négatif pour signifier renoncer à la bataille, souvent à cause de pertes trop nombreuses, puis partir rapidement. C’est de cette éventualité que provient l’expression prendre la poudre d’escampette, plutôt que la poudre à canon.

Notre camper contemporain est plus calme, mais il s’agit encore de se protéger temporairement dans un environnement inhabituel ; de champ dérivent aussi champignon (produits spontanés des champs et des bois de la campagne) et champion (qui combattait en champ clos lors des tournois). Ainsi, pendant que les pancartes poussent comme des champignons, en campagne moderne, nos chefs de partis se déplacent en divers lieux sans y rester longtemps, en une sorte de championnat touristique, avant de décamper pour se préparer à boire le champagne de la victoire, peut-être.

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