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Le bonheur de jouer
Gisèle Bart – Le 7 avril, à Prévost, c’était au tour du Chilien Alejandro Venegas, auteur-compositeur-chanteur-guitariste, et du violoniste québécois Simon Claude de nous entretenir musicalement, dans le volet « Azimuts & Jazz/Pop » de Diffusions Amal’Gamme. Flanqués de leurs trois complices, Hugo Larenas à la guitare, Sébastien Pellerin à la contrebasse ainsi que Éric Breton aux percussions, ils ont partagé avec nous, avec compétence et passion, leur bonheur de jouer de la musique, tout simplement.
C’est d’allure décontractée, colorée chez le chanteur, casquette à l’avenant chez le guitariste, qu’ils se sont amenés sur la scène. Un son joyeux, latin, tambourinage sur les petits tambours, scandé par un violon magique, s’est élevé. Balai sur cymbales, archet sur contrebasse, quatre ou cinq notes répétées en écho à la guitare et au violon produisirent leur effet hypnotisant. La voix d’Alejandro s’y joignit avec ce quelque chose d’indéfinissable qui caractérise celle de grands brûlés intérieurs que sont les Hispaniques. « Je t’aimerai jusqu’à la fin des temps… Dans chaque note, Un poco de ti… », qui n’aimerait entendre ces paroles de la bouche de la personne aimée ? Suivit Juan Talon, un hommage au fameux marché de Montréal. D’une lenteur surprenante au début alors qu’on s’attendait à un marché grouillant, le rythme s’est emballé avec dissonances et tensions harmoniques, comme dans un vrai marché, quoi! Antes del Amor, « l’éloignement nous a fait toucher ce qu’est vraiment l’Amour », voix et guitares, le charme de la langue espagnole qui est la voix même de la séduction, puis percussions et contrebasse, coups impromptus et sensuels sur les cymbales, intrusion du violon, joué soit dit en passant, par un extra-terrestre.
À plusieurs reprises, tout au long de ce spectacle, la dernière note de la pièce demeurera en suspension, contrairement à celles en résolution auxquelles nous sommes habitués. Ce qui lui apportera une touche moderniste. Hada Melusina, héroïne du Moyen-Âge trahie par son Chevalier, pièce instrumentale où chacun des cinq musiciens donnera sa pleine mesure. Dommage qu’il semble si difficile de rendre parfaitement audible les contrebasses, de par la nature même du son très bas de ces instruments, de même souvent pour les guitares basses. Boubou, berceur, composé par monsieur Venegas en regardant dormir son tout-petit, Prima Vera, le printemps, les jupes volent, les talons claquent, claquent au vent les draps blancs sur les cordes à linge, sous un soleil revenu. Cette résurrection fut suivie d’un Amor Perdido, une supplique, voix entrelacée au violon. Le violoniste, yeux fermés, retiré dans un autre monde, sublimes glissendi, donne l’image de quelqu’un qui ne serait totalement heureux que lorsqu’il joue de son instrument. Ce qui contraste avec l’humour grinçant dont il use entre les pièces, à mon avis un bouclier sur sa sensibilité exacerbée, ceci confirmant cela. D’ailleurs, c’est avec cet humour particulier que Simon Claude présentera le prochain morceau, Valparaiso, l’histoire de cette improbable amitié entre un Chilien et un p’tit gars de Brossard. Syncopes, sons iconoclastes, envolées du violon comme d’un oiseau sorti de cage et qu’on ne peut plus retenir. Suivra une interprétation de Libertango, magnifique hommage à son compositeur Piazzola. Les percussions, absentes dans le Piazzola, introduiront la pièce suivante. Puis, il y aura N.L.Tren, « le train », une inéluctable montée de l’émotion, la fin du spectacle s’annonçait. Nocturno sin Patria, « … la terre appartient à tous, je ne veux plus de ces fusils qui tuent mes frères! » Un véritable poème mis en musique, accélération du rythme, un violon délibérément strident, un appel désespéré, comme si un accès d’hystérie s’était emparé du quintette, un morceau d’urgence suivi de Dis-le, grincements du violon pour exprimer une brûlante blessure. Enfin, retour à l’humour, Con Motto, jeu de mots avec le nom du bolide et la directive musicale qui signifie « avec mouvement ». Une belle complicité entre les instrumentistes auxquels un momentum sera accordé chacun son tour, en particulier au percussionniste qui pourra enfin s’épivarder. Au rappel, tout hispanique, roulements appuyés des r du chanteur, cette fois, c’est le guitariste qui sera mis en lumière. Une impressionnante glissade du violon, comme si c’était facile, salut protocolaire, tout pour me plaire! Que du bonheur!