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Contre le SH
Gleason Théberge – Comme les autres langues vivantes, le français emprunte des mots que l’usage répand d’abord dans la parole et qui finissent souvent par être utilisés à l’écrit. Une certaine élégance, que d’aucuns considèrent comme une faiblesse, porte alors les journalistes ou les auteurs à conserver la manière même dont ces mots sont écrits dans les langues dont ils proviennent. Ce n’est cependant pas sans bousculer alors la logique des graphies du français qui normalise parfois leur orthographe. C’est ainsi qu’on écrit désormais des médias, alors que média était en latin le pluriel de medium, comme spaghetti, celui de spaghetto; tomate, issu du nauhatl tomatl ; chiffre, de l’arabe sifr (zéro) ou polichinelle, de l’italien Pulcinella.
Les autorités linguistiques françaises, belges et québécoises ont ainsi proposé récemment aux usagers d’adopter une nouvelle orthographe, qui n’annule pas l’ancienne mais s’imposera probablement, du moins en partie, au fils des ans. Notre système scolaire l’enseigne déjà, et plusieurs recommandations contribueront à simplifier, entre autres, les mots de provenance étrangère. À ce propos, ce renouvellement suggère de « franciser, dans la mesure du possible, les mots empruntés, en les adaptant au système graphique du français* ». Selon son lexique, on écrira ainsi débatteur au lieu de debatter, paélia (paella), révolver (revolver) ou jazzmans (jazzmen).
Les concepteurs ont cependant refusé de franciser davantage des mots comme baseball, qui pourrait tout aussi bien s’écrire béseball ou leader qu’une finale en « eur » aurait rendu conforme aux autres mots désignant des personnes. Écrire les leadeurs des équipes de béseball aurait peut-être d’abord surpris le regard habitué aux incongruités d’un A prononcé É dans baseball ou d’un ER prononcé EUR, mais dites à voix haute, les expressions auraient été tout aussi bien comprises.
Or, s’il est une graphie qui contredit nos pratiques, c’est bien celle des mots issus de l’anglais où le SH traduit le son que le français écrit CH, lequel peut aussi équivaloir au K des mots provenant du grec. Mais en cela schizophrènes ou inconscients des méfaits, les lecteurs et les scripteurs acceptent sans broncher ni bruncher des mots comme haschich, rush, smash, show, splash, sushi, Natashquan… Et pourtant, les lettres SH se distinguent autrement dans des mots comme déshabiller, déshabituer, déshumaniser, déshonorer, déshydrater… où le S est utilisé devant un mot dont le sens est nié, ne conduisant pas à déchabiller ou déchonorer…
Évidemment, proscrire le SH anglais en français ne devrait pas mener à modifier les noms propres d’individus, comme celui qui honore le gouverneur général Sherbrooke, qui a au moins eu le mérite de contribuer à faire accepter que l’évêque de Québec puisse exercer ses fonctions malgré le protestantisme anglais de l’Occupant. Et je ne suggère pas non plus d’uniformiser les prénoms et noms d’autres provenances étrangères, mais en matière d’appellation amérindienne ou artistique devenue courante en provenance de mots ou de traductions anglaises, je crois que l’habitude se prendrait bien, comme le mot fonne qui a commencé à remplacer fun, de voir apparaître splache ou souchi, tout comme chérif et Chawinigane