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Le numérique sonne-t-il le glas des bibliothèques publiques ?
Valérie Lépine – « Le livre numérique remplacera bientôt le livre papier. La bibliothèque publique est un lieu voué à disparaître. » Cette affirmation rappelle étrangement celle qu’on entendait au moment de l’essor des ordinateurs personnels. On prédisait alors la disparition du papier. Trente ans plus tard, force est de constater que le papier n’a pas disparu.
Aucune statistique ne semble prédire aujourd’hui la disparition des livres papier ou des bibliothèques publiques. Les lecteurs, y compris les plus jeunes, continuent de préférer le livre papier. Une étude de 2014 révélait que les deux tiers de la population québécoise continuent d’acheter en format papier1. Au sein des bibliothèques faisant partie du Réseau Biblio des Laurentides, qui offre plus de 10 000 titres en format numérique, le prêt numérique ne représentait que 2,6 % de tous les prêts en 2016. « Je ne pense pas que le livre numérique va détrôner le livre papier puisque même dans les plus grandes bibliothèques qui offrent le prêt numérique depuis très longtemps ça s’arrête à environ 15 % de l’ensemble du prêt », a déclaré JoAnne Turnbull, directrice générale du Réseau Biblio des Laurentides.
Par ailleurs, les bibliothèques sont devenues un lieu citoyen de première importance. Leur fréquentation au Québec a augmenté de 19,6 % depuis 2007 et elle sont les institutions culturelles les plus fréquentées dans la province (27 000 000 d’entrées en 2015)2.
Le papier : idéal pour la lecture et la conservation
Pas étonnant que le papier reste le chouchou des lecteurs. Il a été démontré que la lecture d’un livre papier est plus facile pour le cerveau et idéale pour la concentration et la mémorisation3.
Le papier demeure aussi la façon la plus facile de conserver les documents. La directrice du dépôt légal et de la conservation des collections patrimoniales à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Mireille Laforce, affirmait au journal Le Devoir que « dans de bonnes conditions, le papier peut […] se conserver très longtemps sans qu’on lui apporte d’attention constante. Il est beaucoup plus stable »4.
En contrepartie, les documents numériques sont très éphémères à cause de l’évolution constante de la technologie et de la variété des formats. Et ils ne sont jamais à l’abri d’un accident électronique.
Faux débat ?
Mais devons-nous vraiment opposer livre papier et livre numérique ? Au fond, ces deux types de supports sont complémentaires et vont probablement continuer à coexister pendant longtemps. Le format numérique se prête bien à la consultation de documents de référence (dictionnaires, encyclopédie, catalogues, etc.) et à la lecture des nouvelles brèves. La collection numérique d’une bibliothèque permet en outre aux usagers d’utiliser ses services à distance.
Par contre, le papier reste la panacée pour d’autres genres littéraires comme les romans, essais, biographies, bandes dessinées ou albums pour enfants.
Plus qu’un dépôt de livres
De toute façons, on ne peut plus lier le sort des bibliothèques publiques à celui des livres papier.
Certes, la bibliothèque sera toujours le lieu privilégié pour consulter et emprunter des livres papier. Mais la bibliothèque publique est bien plus qu’un simple dépôt de livres. Cette institution a évolué et s’efforce d’offrir des services très diversifiés.
On parle d’ailleurs maintenant de la bibliothèque publique comme troisième lieu dans la société, c’est-à-dire qu’après le travail et la maison, la bibliothèque est devenue le lieu où les gens peuvent se rencontrer, échanger, discuter, se distraire, apprendre, créer, travailler. Ajoutons à cela que la bibliothèque, ouverte gratuitement plusieurs heures par semaine à tous les citoyens quel que soit leur âge, leurs croyances ou leur niveau d’éducation, a un pouvoir fédérateur inouï au sein d’une communauté.
Si quelques tablettes de livres disparaissent dans les bibliothèques, c’est pour faire place à la convivialité. Fini le silence à tout prix, les chaises droites et les espaces confinés! Les tendances dans l’aménagement des bibliothèques tendent à rendre la bibliothèque plus accueillante, plus confortable et plus flexible.
Par ailleurs, les bibliothèques publiques offrent de plus en plus des services novateurs. Ainsi, peut-elle devenir un lieu de création où l’on offre aux citoyens toutes sortes de produits et d’appareils (les plus communément cités étant l’imprimante 3D) ou un lieu de travail collaboratif en offrant des espaces d’échange. Plusieurs bibliothèques dans le monde offrent maintenant le prêt d’objets inusités comme des instruments de musique (les bibliothèques de Lachine et de Rivière-Rouge le font déjà), des jeux de société, des jeux vidéo, des machines à coudre, des projecteurs, des caméras GoPro, etc. Et d’autres innovent en intégrant à leurs locaux des ateliers de cuisine, des serres, des salles de cinéma ou des jardins communautaires(5).
Bref, les bibliothèques publiques sont des lieux essentiels au sein des sociétés démocratiques, quelle que soit la quantité de livres papier qu’elles hébergent. Elles jouent un rôle fondamental dans la diffusion libre de l’information et elles doivent demeurer « [la] clé du savoir à l’échelon local [et] un instrument essentiel de l’éducation permanente, d’une prise de décision indépendante et du développement culturel de l’individu et des groupes sociaux »(6).
- Le livre numérique, un complément plutôt qu’un concurrent au papier ?, Frédérique Doyon, Le Devoir, 19 novembre 2014
- Les bibliothèques publiques du Québec à l’honneur, Laurence Houde-Roy, Journal de Montréal, 21 octobre 2017
- The Reading Brain in the Digital Age : The Science of Paper versus Screens, Ferris Jabr, Scientific American, avril 2013
- La disparition des bibliothèques personnelles : biblio de pixels ou biblio de papier ?, Catherine Lalonde, Le Devoir, 6 janvier 2018
- The Future of Public Libraries; Emerging trends
- Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique