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Hélène Tremblay commente le film Le sel de la terre
Hélène Tremblay – Dans le film Le sel de la terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado sur le regard du photographe brésilien Sebastião Saldago, celui-ci dit que les humains sont le sel de la terre. Un constat négatif ou positif ? Ce fut ma première pensée à mon réveil au lendemain de sa projection au Ciné-club de Prévost vendredi 10 novembre.
Si nous sommes le sel de la terre, le plat est-il trop salé ? Le sel que nous sommes, brûle-t-il la beauté du monde comme il sait si bien défaire celle de nos voitures l’hiver ? S’il n’y a pas de sel, il n’y a pas de vie, trop de sel, il n’y a plus de vie. Ainsi naquit la mer Morte. Savons-nous vraiment assaisonner correctement la vie sur terre ?
Si le sel a été une des raisons de la création de grandes voies de communications et d’échanges commerciaux depuis l’Antiquité, aujourd’hui, c’est le trafic humain qui est la troisième plus profitable des activités criminelles du monde, de quoi avoir des frissons dans le dos.
Oui nous sommes le sel de la terre et Wim Wender a su avec son grand talent de cinéaste voir avec les yeux de son personnage. Sommes-nous dans le film ou dans la photo ? On est parfois surpris de voir le mouvement sortir d’une photo dans ce film ? La merveilleuse photographie noire et blanche de Saldago m’a laissée comme une envie de voir le monde en noir et blanc; c’est troublant de voir sa lumière éclairer les ombres du monde. Saldago fixe la laideur avec une terrible efficacité picturale qui nourrit, malgré tout, mon désir de voir la beauté dans toutes les situations et surtout celui de repartir avec mon appareil photo très bientôt.
Nous aurions pu nous rencontrer lui et moi. Il a terminé sa visite en Amérique du Sud en 1984. Je commence la mienne en 1983. Quand il va voir les tribus d’Afrique, j’ai le sentiment de continuer de marcher sur ses pas. Il photographie ensuite la grande sécheresse d’Éthiopie puis un jour les Nations Unies lui demandent d’aller faire des photos pour eux. C’est-à-dire qu’on l’invite à voir le pire de l’être humain « cet animal si violent » comme il dit. Ceci rend son âme malade. En 1994, il n’est plus capable de regarder l’animal violent. Il tourne alors son regard vers la terre.
Je comprends Salgado. Souvent, je me suis dit que, quand j’aurai terminé de visiter l’humanité, j’irai visiter la terre. La nature guérit l’âme, elle a guéri la sienne, elle a aussi guéri la mienne. Quand j’ai perdu espoir en l’humanité, je me suis guéri à Saint-Colomban, au bord de la rivière Bonniebrook en compagnie d’un chien et de longues marches dans la forêt.
À connaître l’humanité, on peut parfois vouloir voir la terre sans elle. Nous ne réalisons pas suffisamment à quel point, nous avons besoin de la terre, pour rester humain.
Salgado a hérité de son père de millier d’hectares de terres, qui comme son père, se meurt. C’est une idée de sa femme Lélia Wanick Salgado de replanter la terre si abusée que plus rien n’y pousse. C’est elle aussi qui était là pour éduquer les enfants, trouver de nouvelles galeries et monter de nouvelles expositions et de nouveaux projets. Elle était la base où Sebastião pouvait revenir et trouver la gloire. Elle qui a su gérer la carrière de son mari, superviser la plantation de 2,5 millions d’arbres et faire revenir les oiseaux et la pluie.
Sebastião Salgado, c’est un « nous ». On fait gloire au photographe, mais la solitaire que je suis ne peut s’empêcher de voir l’autre, la force et le silence qui a permis à la lumière de s’attarder sur lui. Le Sel de la Terre, c’est aussi un film sur l’ombre.
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NDLR : Hélène Tremblay était la conférencière invitée lors de la projection du film Le sel de la terre au Ciné-Club de Prévost. À partir des années 80, Hélène Tremblay a visité des familles de partout dans le monde afin de mieux comprendre l’humanité. Elle a depuis publié 15 livres (pour enfants et pour adultes). Son œuvre photographique a été exposée deux fois au secrétariat des Nations unies à New York, puis en France, en Allemagne et en 2006 aux Émirats arabes unis. À ce jour, Hélène s’est adressée à près de 100 000 jeunes à travers le monde. On peut découvrir son regard sur l’humanité sur : helenetremblay.ca et rendezvoussurterre.com