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Voyons si les cousines fidèles se tutoient
Gleason Théberge – Nous avons pris l’habitude des sigles (qui ne sont pas des mots, mais des abréviations de suites de mots) comme SAQ (Société des alcools) ou SAAQ (Société de l’assurance automobile), mais l’orthographe est plutôt marquée par la succession de deux types de lettres. Cousines, les voyelles font ainsi chanter les consonnes qui servent à différencier les mots. Certains systèmes de transcription de la parole n’utilisaient d’ailleurs ou n’utilisent encore que les consonnes. C’était notamment le cas de l’égyptien, dont nous traduisons approximativement le nom du dieu Râ ou Rê, à partir d’un hiéroglyphe r, sans savoir exactement la manière dont le mot était prononcé. Et l’hébreu ou l’arabe, même de nos jours, ne transcrivent que les consonnes et la voyelle A; les autres, absentes de l’alphabet, peuvent parfois être l’objet d’ajouts qui ressemblent à nos accents.
Il faut dire que dans toutes les langues, la prononciation des mots subit des variantes selon les individus ou l’évolution des sociétés. La sonorité OI en français a ainsi évolué du [oué] que nous conservons au Québec dans moé ou toé, vers le [wê], qui nous a donné le mot français; puis vers le [wa] qui a fait naître le prénom François. Quand il est question d’écrire dans ce français que d’autres disent être de graphie imprévisible, il faut ainsi mentionner des logiques s’appliquant à l’organisation des phrases et à l’écriture des mots.
L’une de ces logiques fait varier l’orthographe en privilégiant la succession de sonorités fortes et faibles. Même s’il ne se fait pas entendre, le E dit muet ou faible gouverne ainsi l’écriture de nombreux mots. C’est la raison pour laquelle on constatera un affaiblissement du Y en I quand la finale est en E, faisant passer de tutoyer [tutwayé], à voyelle finale forte [é], à je tutoie [tutwa] au E discret; ou d’appuyer [apuiyé] à j’appuierai [apuiré]; ou de je vois [vwa] à je voyais [vwayè].
Mais l’occurrence majeure se produit quand la douceur du E muet conduit à l’ajout d’un accent sur le E qui le précède. C’est le cas, par exemple, des mots fidèle [fidèl] ou relève [relèv]. Ce procédé a la même valeur que le dédoublement de consonnes permettant de passer d’ appeler, où la voyelle finale est forte [aplé], à appelle, dont le E final ne se prononce pas [apèl]. Conscient de cette attention portée à la finale faible du verbe, on comprend mieux pourquoi la finale forte en [è] conduit à écrire appelais avec un seul L, alors qu’on retrouvera LL dans appellerai [apèlrai], dont le E interne est muet.
On trouvera le même procédé chez un verbe comme jeter, qui donnera je jette, mais je jetais. Celui-ci et appeler (et ses dérivés rappeler ou interpeller) sont d’ailleurs les seuls dont la nouvelle orthographe recommande de conserver le redoublement de la consonne. Tous les autres pouvent désormais n’appliquer que la norme du E accentué devant une finale faible : atteler, (dé)bosseler, (dé)niveler, dépuceler, museler et ruisseler, entre autres, peuvent désormais se conjuguer comme peler (je pèle).
Pourquoi pour deux prononciations semblables, je pèle a-t-il pris la tournure du E portant l’accent grave [è] et j’appelle celle du doublement du L [apèl]? Probablement par symétrie avec le double P du verbe appeler; pendant qu’épeler est resté fidèle au peler qui décrit la manière dont on pèle le mot en l’épelant.