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« Se faire brasser les repères »
Gisèle Bart – Le 10 juin dernier, à Prévost, Diffusions Amal’Gamme présentait la dernière représentation de la saison 2016-17. Il s’agissait de l’excellentissime musicien Jean-François Lambert, pianiste, chanteur, arrangeur et chef d’orchestre, entouré du contrebassiste Renaud Labelle et du batteur Jean Dufour, tout aussi talentueux que lui. Ayant, il y a cinq années, décidé d’allier ses deux passions, le jazz et la chanson québécoise, c’est le résultat de cet amalgame qu’il nous proposait ce soir-là.
Beau, grand, mince, blond aux cheveux courts, M. Lambert s’est amené d’un pas vif, vêtu d’un complet bleu pervenche, sur une scène décorée d’un fleurdelisé haut de deux mètres. Ses compagnons d’aventure le suivaient, chemisés de bleu. Il s’est assis au rutilant piano, de même le batteur à la batterie, tandis que le contrebassiste s’installait à son imposant instrument. Alors, le jazz a commencé, d’emblée très enlevant. Du jazz fameux ! Une soirée de pur plaisir s’annonçait.
Par leur répertoire où se sont succédées des chansons de Vigneault, Rivard, Leclerc, Ferland, Léveillée, Beau Dommage, Georges Dor en première partie et de Daniel Lavoie, Charlebois, Lévesque, Blanchet et Cormier en deuxième partie, ils mirent, quinze jours à l’avance, la table pour la St-Jean.
Or, quand on décide d’innover, on risque de déstabiliser. C’est ce qui s’est produit. Pour reprendre l’expression de Marie-Mai quelques jours plus tard lors du spectacle de la Fête Nationale dans la Capitale du Québec, mettons qu’on s’est fait « brasser les repères » !
Étant habitués à des versions plus mélancoliques, les arrangements plutôt carrés nous ont un peu étonnés : un P’tit Bonheur espiègle, un Cheval Blanc joyeux, Quand les Hommes Vivront d’Amour devenu désinvolte. Nous avions été prévenus, mais à mon goût, les dissonances furent peut-être trop nombreuses, ce qui pouvait parfois donner l’impression de fausser. Par ailleurs, il est difficile de critiquer un chanteur aussi ostensiblement heureux de chanter. J’aurais cependant souhaité qu’il s’exécute de façon plus fluide et que son phrasé soit un peu plus souple, en d’autres mots, je me répète, moins carré. Quant à son « parler » châtié, il détonnait un peu dans Lindberg, mais après tout, pourquoi pas ? !
Pour en revenir aux arrangements (quelques accents à la Michel Legrand qu’il semble admirer), d’aussi bons musiciens devaient certainement se réjouir d’avoir à jouer des morceaux aussi bien écrits. De plus, M. Lambert leur avait composé des solos où ils purent donner la mesure de leur virtuosité, entrer en transe autant qu’ils le désiraient.
Après la pause, M. Raoul Cyr, lui-même féru de jazz, nous décrivit leur prestation comme une expérience harmonique des plus audacieuses. Pour Ils s’aiment de Daniel Lavoie, M. Lambert avait puisé au meilleur de lui-même pour nous offrir ce grand crû, annonciateur du champagne qui allait suivre, Le Tour de l’Île du grand Félix : un piano longuement seul, une contrebasse subtilement introduite comme le sang qui bat dans les veines, des cymbales toujours aussi efficaces émotivement. Puis, un piano qui s’amuse « dans les lagunes », un beau moment d’émotion à la hauteur de cette immense chanson. « Les fruits sont mûrs » écrivait Félix… L’heure est-elle venue ? Question suspendue, demeurée sans réponse depuis maintenant plus de quarante années.
Au rappel, M. Lambert nous annonça son prochain projet : arranger du Harmonium, son groupe de prédilection. Une fois de plus, il nous obligea à « quitter notre zone de confort », ce que nous fîmes volontiers, émoustillés d’être ainsi déroutés… c’est le moins qu’on puisse dire.