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Bonheur de lectures
Valérie Lépine – Les romans ayant comme thème la Deuxième Guerre mondiale pullulent : le site Babelio.com en recense 3963! Et pour cause : cet événement majeur du XXe siècle a marqué de façon indélébile la psyché collective. La littérature, comme le cinéma, sont devenus des soupapes privilégiées pour exorciser les démons de ce passé difficile à oublier.
L’idée d’écrire un roman sur la Deuxième Guerre mondiale est venue à Anthony Doerr lors d’une visite dans la ville bretonne de Saint-Malo. Cet auteur de 44 ans est tombé sous le charme de cette ville fortifiée et a été sidéré d’apprendre qu’elle avait été presque totalement détruite en 1944 par des bombardements américains.
Les premières pages de Toute la lumière que nous ne pouvons voir commencent d’ailleurs au moment où St-Malo s’apprête à être bombardée : « Ils traversent la Manche à minuit. Ils sont douze […]. Au loin, la mer glisse, tachetée de blanc par l’écume des vagues. Assez vite les navigateurs peuvent distinguer les îlots rocheux dans le clair de lune, alignés sur l’horizon. La France. […] À bord de chaque avion, un homme guette à travers son viseur et compte jusqu’à vingt. Quatre, cinq, six, sept. Pour eux, cette cité fortifiée, dressée sur son promontoire, et qui se rapproche peu à peu, a l’air d’une dent cariée, une chose noire et pourrie, un dernier abcès à crever. » (p.14)
Le récit se poursuit en de courts chapitres qui présentent en alternance la vie de deux adolescents emportés dans le tourbillon de la guerre entre 1940 et 1944. Marie-Laure Leblanc, une adolescente aveugle, doit fuir Paris en 1940 avec son père et finit par se réfugier chez un grand-oncle vivant à Saint-Malo. Werner Pfennig, un jeune prodige orphelin élevé au cœur de la Ruhr, s’engage dans la jeunesse hitlérienne pour échapper au travail dans les mines de charbon. On comprend dès le début du roman que ces deux jeunes, entraînés malgré eux dans des camps adverses, sont destinés à se rencontrer.
Toute la lumière que nous ne pouvons voir a été couronné du prestigieux prix Pulitzer en 2015 et est resté 118 semaines au palmarès du New York Times. Ce succès s’expliquerait entre autres par le regard original de l’auteur sur des événements tragiques de l’Histoire, le rythme haletant du récit, ses personnages attachants et la richesse des thèmes abordés. C’est un roman à plusieurs facettes, où divers éléments servent de fil d’Ariane à l’histoire et sont empreints de symbolisme : le diamant aux vertus mystérieuses qui représente la recherche d’absolu mais aussi la cupidité; la radio dont les ondes ont le pouvoir d’unir et d’émerveiller; la musique et la littérature qui tissent des liens au-delà des frontières, etc.
Tous les personnages de ce récit sont attachants et contribuent à faire connaître un aspect ou un autre de la guerre, du travail des femmes dans les usines au pillage systématique des œuvres d’art par l’armée allemande en passant par les efforts de résistance des Français.
Anthony Doerr a pris le parti de porter un regard bienveillant sur ses personnages victimes de la folie des Grands et de ne présenter qu’en filigrane les atrocités de la guerre. Dans une entrevue donnée au magazine l’Express d’avril 2014, il explique : « […] je souhaitais […] mettre au jour quelques rares éclats de lumière dans un monde de ténèbres. Je souhaitais montrer que la guerre n’était pas que ces défilés et ces batailles en noir et blanc, mais une multitude d’histoires minuscules, invisibles, qui méritent d’être racontées. »