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Comme si la commission Charbonneau n’avait jamais existé
Paul Germain – Le 6 décembre dernier au Salon rouge de l’Assemblée nationale, notre premier ministre, Philippe Couillard, a annoncé le dépôt du projet de loi 122, «visant principalement à reconnaître que les Municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs».
Certaines mesures de la future législation paraissent douteuses, sinon dangereuses, dans le contexte actuel de corruption et de collusion dans le milieu municipal. Mais avant de critiquer le projet de loi, il faut être clair : la décentralisation des pouvoirs au profit des gouvernements locaux pourrait être bénéfique, pourvu qu’il s’agisse d’un gain démocratique pour les citoyens et que des mesures de contrôle pour une saine gestion soient mises en place. Et, ce sont ces deux derniers aspects qui manquent à ce projet de loi.
Voici des exemples:
Les zones de requalification et la fin de la démocratie municipale
Avec les nouvelles règles, une Muni-cipalité pourra délimiter dans son plan d’urbanisme une partie de son territoire en « zone de requalification » à l’intérieur de laquelle zone aucune modification réglementaire ne sera sujette à l’approbation référendaire.
Par exemple, à Piedmont, sur le site des glissades d’eau, ou à Prévost sur le terrain de l’ancien golf, la Ville concernée pourrait changer le zonage sans être astreinte au processus référendaire. C’est donc dire que les citoyens n’auront aucun moyen de s’opposer à un projet mis de l’avant par un promoteur appuyé par la Ville.
Fini les soumissions faites par in-vitation pour les contrats en bas de 100 000 $
La loi actuelle prévoit qu’une administration municipale ne peut donner un contrat qu’après avoir demandé des soumissions faites par voie d’invitation auprès d’au moins deux fournisseurs, si ledit contrat comporte une dépense d’au moins 25 000 $ et de moins de 100 000 $. Certaines localités modèles comme Bois-des-Fillion exigent trois soumissions.
Le nouveau projet de loi abolit cette mesure. Seuls les contrats d’au-dessus de 100 000 $ seront assujettis à un processus d’appel d’offres. Pour des Villes comme Montréal, Laval et Québec, un montant de 100 000 $ est peu, mais pour des Municipalités comme Sainte-Anne-des-Lacs, Pied-mont et Prévost cela est considérable. D’autant plus que contrairement aux communautés de 100 000 habitants et plus, aucune de nos petites administrations ne possède de vérificateur général et encore moins d’inspecteur général comme la Ville de Montréal.
En plus, avec le projet de loi, les Villes auront moins de reddition de compte et d’indicateur de gestion à fournir au gouvernement du Québec.
Après l’adoption de ces nouvelles mesures, seuls des états financiers vérifiés devront être produits une fois par année. Nous avons vu la valeur de ces documents à Prévost en 2013, alors que les états financiers de 2012 comportaient une grave erreur, soit un manque de 750 000 $ au flux de trésorerie.
Rien dans le projet de loi ne protège les citoyens d’une mauvaise gestion. Rien dans la future législation ne vient corriger la loi d’accès à l’information qui permet aux administrations municipales de rendre leur gestion opaque à la saine curiosité de ses citoyens. Rien.
Avec le projet de loi 122, les vilains merles municipaux deviendront des roitelets distribuant les faveurs et avantages sans avoir à se soucier de rien ni de personne. Vous trouvez cela exagéré ? Pourtant l’adage dit bien que le passé est garant de l’avenir. Rappelez-vous les scandales à Laval, Mascouche, Montréal, Terre-bonne, Blainville, Boisbriand, Sainte-Julienne, et les autres. Ce projet de loi laisse plus de place et met moins de contraintes aux filous pour détourner nos avoirs collectifs vers leur poche. Où sont les outils qu’une loi inspirée de la commission d’enquête sur l’industrie de la construction devait nous fournir ? Ou s’agit-il de la légalisation pure et simple de la corruption et de la collusion ?
Il semble bien qu’à Québec, personne n’a rien appris ou n’a rien compris des problèmes de corruption passés dans le monde municipal. À moins que le gouvernement du Québec ait tout simplement abdiqué ses responsabilités plutôt que de tenter de mettre de l’ordre dans nos Villes. Comme citoyen, nous serons encore plus seuls pour lutter contre la corruption. C’est à nous à prendre nos villes en main. Personne d’autre ne le fera pour nous.
NDLR : Une précédente version de cet article est parue dans Le Devoir du 11 janvier à la page éditoriale dans la catégorie « Libre opinion ». Nous publions ici une version légèrement modifiée, car nous croyons que le sujet est important. Nous rappelons ici que Paul Germain est aussi membre de la Ligue d’action civique où, entre gens passionnés de la chose publique, on discute de saines gestions municipale et gouvernementale et de participation citoyenne et qu’à ce titre, son point de vue est d’intérêt public.