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Transfert des écoliers de Piedmont
Valérie Lépine – Depuis janvier 2016, les parents de Piedmont se battent pour que leurs enfants ne soient pas transférés à l’école de Sainte-Adèle. La rentrée est passée, le transfert est réalisé, mais la controverse se poursuit.
Retour sur cette controverse
Le 10 décembre 2015, la Commission scolaire des Laurentides (CSL) a avisé par courriel les parents de Piedmont que leurs enfants qui fréquentaient auparavant les écoles primaires de Saint-Sauveur seraient transférés dès septembre 2016 à l’école Saint-Joseph de Sainte-Adèle, à laquelle on a ajouté six classes, un gymnase et une bibliothèque l’an dernier. Les parents de Piedmont dont les enfants étaient en âge d’entrer à la maternelle n’ont pas été avisés de cette décision et ne l’auraient appris qu’au moment de l’inscription.
On donnait aux parents jusqu’au 27 janvier 2016 pour faire valoir leur opinion. Or, malgré les protestations soutenues des parents, la CSL a adopté le projet de transfert le 10 février 2016 à majorité 1.
Craignant les répercussions négatives de ce transfert, les citoyens de Piedmont se sont mobilisés : contestation au conseil d’établissement, création de l’Association des parents et des citoyens de Piedmont (APCP), demande d’appui aux conseils de Piedmont et Saint-Sauveur, lettre au directeur général de la CSL, mise en demeure remise à la présidente du conseil des commissaires, dépôt d’un mémoire et lancement d’une pétition (qui a recueilli 1450 signatures). Cette forte levée de boucliers n’a pas infléchi la décision de la CSL et 30 enfants de Piedmont ont pris le chemin de Sainte-Adèle à la rentrée des classes 2.
Impacts de cette décision
Dans un mémoire déposé au conseil de Piedmont le 4 avril dernier, l’APCP a fait valoir que ce transfert aura des impacts importants non seulement sur les enfants, mais aussi sur la communauté.
Dans ce mémoire, l’Association souligne que ce transfert entraînera le déracinement des enfants de leur communauté naturelle (Saint-Sauveur offrant pratiquement tous les services de base aux Piedmontais), augmentera le temps de transport, entraînera l’exode des jeunes familles de Piedmont, où la moyenne d’âge est déjà une des plus élevées au Québec, et affectera à la baisse le prix des résidences.
Incohérences et désinformation selon l’APCP
L’Association souligne aussi dans son mémoire des incohérences et des irrégularités liées à la prise de décision de la CSL.
Par exemple, en se basant sur les prévisions de l’effectif étudiant du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec publiées en 2012, qui montrent que contrairement à Sainte-Adèle, c’est à Saint-Sauveur qu’il y aurait une augmentation constante des écoliers, les auteurs du mémoire se demandent s’il n’aurait pas été plus logique d’agrandir une des écoles de Saint-Sauveur. Un courriel du directeur des ressources matérielles de la CSL envoyé au ministère de l’Éducation en 2013 laissait même présumer que la CSL avait eu des projets en ce sens. Cependant, Claude Pouliot, directeur général de la CSL, a affirmé au Journal qu’il n’a jamais été question d’agrandir une des écoles de Saint-Sauveur. Il a expliqué entre autres que les infrastructures actuelles ne permettent pas d’agrandissement (à Marie-Rose, le terrain est enclavé et, à La Vallée, le terrain est fortement dénivelé).
Le mémoire énumère en outre certaines façons de faire de la CSL qui semblent avoir nui au processus démocratique de prise de décision. Entre autres, l’annonce tardive de la décision de transfert qui n’aurait permis qu’une consultation « cosmétique » et le débat précédant le vote sur cette décision s’étant fait à huis clos – huis clos qui n’était pas légal selon l’Association. L’Association a par ailleurs tenté d’obtenir par voie légale une copie des délibérations en huis-clos auprès de la CSL, sans succès. Selon certaines sources, ce huis-clos a donné lieu à des discussions houleuses et deux commissaires auraient quitté la réunion en claquant la porte. Des commissaires qui étaient sensibles aux arguments des parents de Piedmont auraient aussi avoué craindre les représailles s’ils votaient contre le transfert.
Le point de vue d’un commissaire
Le Journal a rencontré le commissaire Robert Dupont le 6 septembre dernier pour connaître son point de vue sur toute cette affaire.
Il a d’abord clarifié les raisons qui, en 2012, ont motivé la CSL à agrandir l’école Saint-Joseph : Sainte-Adèle est la ville centrale du secteur sud du territoire; à cette époque, 27 enfants de Val-Morin devaient être transférés à Sainte-Adèle et peut-être même quelques-uns de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, les écoles de Saint-Sauveur ne pouvaient être agrandies (pour les raisons mentionnées plus haut) et les prévisions du ministère de l’Éducation indiquaient une croissance plus importante des écoliers à Sainte-Adèle en 2013. Sur ce dernier point, M. Dupont admet que la CSL s’est trompée – la croissance a en fait été plus grande à Saint-Sauveur et les prévisions du Ministère prévoyaient bel et bien cet accroissement dans son rapport de 2012.
M.Dupont a voté pour le transfert des enfants de Piedmont. Le commissaire comprend la colère des parents, mais il a pris sa décision en considérant le bien-être de la plus grande proportion des élèves de sa circonscription. Si l’on considère la distance à parcourir, la sécurité routière et la facilité d’accès, il était plus logique de transférer les enfants de Piedmont que les enfants de Saint-Sauveur, Morin-Heights ou de Wentworth-Nord (qui fréquentent les écoles de Saint-Sauveur). Et M. Dupont ne voulait pas séparer les écoliers d’une même communauté dans différentes villes. Avec la décision du transfert, tous les enfants de Piedmont fréquenteront éventuellement l’école de Sainte-Adèle.
Enfin, questionné sur le huis-clos qu’il a demandé lors de la séance du 10 février et qui a été contesté par l’APCP, M. Dupont dit qu’il a utilisé le mauvais terme et qu’il voulait plutôt demander un retrait des commissaires en comité plénier. Il justifie sa demande en disant que les commissaires étaient « ébranlés » par certains arguments et qu’il est plus facile d’avoir une discussion libre en comité plénier.
Une rentrée bâclée
Comment s’est donc déroulée la rentrée du 31 août pour les enfants de Piedmont qui ont été transférés ?
Frédéric Deschênes, père de deux fillettes qui fréquentent dorénavant l’école Saint-Joseph, a été témoin de la confusion totale qui régnait dans la cour de cette école lors de la rentrée du 31 août. Les groupes n’étaient pas identifiés et les professeurs semblaient confus. « C’était un vrai capharnaüm! », s’est exclamé M. Deschênes.
Le transport semble aussi avoir subi des ratés puisque les élèves venant de Piedmont sont arrivés avec au moins 15 minutes de retard en classe la première semaine. La CSL avait affirmé que le temps de transport ne serait augmenté que de 8 à 10 minutes en moyenne incluant le transfert d’autobus. Certains parents ont cependant calculé que, pour la première semaine de classe, il y avait au moins 40 minutes de différence entre le transport menant à Saint-Sauveur et celui menant à Sainte-Adèle. En entrevue avec le Journal, M. Dupont a certifié que ces retards se résorberaient quand les travaux de construction de la 117 seraient terminés.
Autre revirement
La saga s’est par ailleurs poursuivie quand des membres de l’APCP se sont vu refuser l’accès à la conférence de presse organisée par la CSL le 7 septembre dernier. Des gardes du corps d’une firme privée avaient comme mandat de ne pas les laisser entrer. À ce sujet, la présidente de la CSL a déclaré au Journal des Pays-d’en-Haut/La Vallée qu’« en effet, aujourd’hui, ils (parents opposants) n’étaient pas invités. On les a reçus à tous les conseils des commissaires. La Coalition Avenir Québec (CAQ) qui les appuie 3 était l’ADQ qui a farci les esprits durant 15 ans en voulant abolir les commissions scolaires. Aujourd’hui, nous avons un nouveau ministre de l’Éducation pour qui le débat de structures est passé et qui veut avancer avec nous. Oui, le transfert d’élèves est une décision déchirante, mais justifiée. Notre priorité est d’assurer l’équité et de permettre aux élèves l’accès à des services de qualité dans des locaux adéquats. » Simon Lachance, un citoyen de Piedmont et porte-parole de l’APCP, a déploré pour se part que « des gardes de sécurité payés à même nos taxes scolaires nous empêchent d’assister à une conférence de presse qui devrait être publique. Plusieurs points soulevés lors de la conférence concernent directement le cas de Piedmont [ …], comme ironiquement le respect de la démocratie scolaire ! » À la suite de ce refus, Frédérique Poirier, aussi membre de l’APCP, a envoyé une lettre ouverte aux médias dans laquelle elle déplorait que « notre interdiction musclée d’être présents […] met en lumière les ratés de cette démocratie scolaire tel qu’elle est pratiquée au quotidien dans notre Commission scolaire. Et, collectivement, nous sommes obligés de remettre en question cette démocratie très édulcorée qui ne répond, pour l’heure, en rien aux intérêts de nos enfants. »
- Le procès-verbal de la réunion du 10 février 2016 n’indique pas la répartition des votes entre les 11 commissaires, mais selon les notes personnelles de Robert Dupont, commissaire de la CSL, ils se sont répartis comme suit : 6 pour, 3 abstentions, 1 contre, 1 absent. Mais selon les données présentées dans le mémoire de l’Association des parents et des citoyens de Piedmont, les votes se sont répartis comme suit : 4 pour, 3 abstentions, 1 contre, le reste des commissaires étant absents.
- À terme, 90 enfants de Piedmont fréquenteront l’école St-Joseph. Par ailleurs, dix enfants de Piedmont ont bénéficié d’une dérogation cette année et ont pu aller à l’école à Saint-Sauveur. Ces dérogations ont été, selon le commissaire Dupont, octroyées selon le principe du premier arrivé/premier servi et selon le nombre de places disponibles. Cette dérogation a coûté 650 $ par enfant pour les parents l’ayant obtenue. Dans un communiqué de presse daté du 30 août, la CSL affirme que « ces frais sont justifiés puisqu’ils aident à couvrir les dépenses additionnelles qu’engendrent généralement les circuits de transport organisés à l’extérieur du bassin de chaque école ». Selon M. Dupont, ces frais sont appliqués unilatéralement et ne tiennent pas compte de situations individuelles. Ce qui peut donner comme résultat qu’entre deux enfants de Piedmont qui prennent le même autobus, un des deux a payé 650 $ de plus pour utiliser le transport scolaire.
- L’APCP avait organisé une conférence de presse à Saint-Sauveur le jour de la rentrée et avait obtenu l’appui du député de la CAQ à Chambly, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’éducation, Jean-François Roberge.