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Gisèle Bart – Le samedi 16 avril, à Prévost, se produisait un duo formé de la violoniste Anne Robert et du pianiste Jean-François Latour. Le pianiste Charles Richard-Hamelin, pianiste attitré du groupe Hochelaga, était supposé ce soir-là donner sa dernière prestation avec ce groupe, mais il était revenu malade d’une tournée au Mexique en tant que lauréat de la médaille d’argent du prestigieux concours international Chopin. C’est pourquoi Mme Robert, fondatrice de la formation Hochelaga, avait dû remanier son programme afin de se produire en duo avec seulement le nouveau pianiste, M. Latour. Yvan Gladu et son inénarrable humour, nous avait présenté un « Hochelaga diète », nous assurant qu’il serait « suave ».
Ils débutèrent par la Sonate no. 4 en la majeur de Ludwig van Beethoven. Ludwig a trente ans. Malgré sa jeunesse non encore consommée, Ludwig mène une vie sociale misérable, car le compositeur de grand renom qu’il est devenu ne peut avouer qu’il n’entend presque plus. Il devient une sorte d’ermite, mais dans sa musique, il demeure d’une énergie lumineuse. Cette sonate en est la démonstration. Ce sont un Presto et un Andante scherzoso, piu Allegretto empreints de fraîcheur, sautillants, chantants, mélodiques et mélodieux qui nous furent joués. À l’élégance et au dynamisme de la violoniste répondait le raffinement d’un pianiste très à l’écoute. C’était un véritable dialogue, l’un faisant écho à l’autre comme parfois deux oiseaux se répondent au faîte des arbres. À mes applaudissements impromptus entre deux mouvements dont, piteusement, je m’excuserai plus tard, les musiciens eurent l’indulgence de sourire. Quant aux musiciens eux-mêmes, le son déjà magnifique perpétré par le pianiste était encore magnifié par le Yamaha C7 sur lequel il éprouvait certainement un grand plaisir à jouer. De son côté, la violoniste savait tirer de son Carlo Antonio Testore de 1738 un son d’une pureté absolue. Tous les deux jouaient comme si c’était facile, nous faisant complètement oublier la technique, et à nos oreilles ne parvenait que beauté.
Suivra la Sonate opus 108, no 3 en ré mineur de Johannes Brahms, un compositeur dans la lignée germanique du précédent. Mme Robert nous annonça « une œuvre difficile, mais jouable ». Un premier mouvement recueilli, profond, violent, une plainte insistante avec de beaux moments de douceur fut suivi du deuxième, berceur comme le balancement langoureux de roseaux au gré de l’eau. Quelques vibrati, un bel enthousiasme et des pizzicati sous les doigts de la violoniste mirent un sourire sur ses propres lèvres et sur les nôtres. Enfin, ce fut un Presto agitate, une montée d’émotion, celle d’une marée opiniâtre. Le défi avait été relevé avec brio. Une parenthèse ici pour saluer le travail de Mme Prévost qui a accompli haut la main, et ce sans mauvais jeu de mots, la tâche exigeante de tourner les pages pour le pianiste. Chapeau !
Après l’entracte, ce fut M. Latour qui nous présenta la troisième et dernière pièce. Autant c’est sa jeunesse qui transparaissait au début du concert, autant c’est sa prestance et son sérieux qui apparurent, comme s’il avait grandi en coulisses. Il nous annonça une version historique de la Sonate en la majeur de César Franck, un Français cette fois, un morceau offert en cadeau de mariage à son ami Eugène Isaïe, « une œuvre monumentale ». Au premier mouvement, ce ne fut que douceur et légèreté. Puis, au deuxième mouvement, un vent s’est levé, faisant tourbillonner les feuilles des arbres et les sentiments des hommes, et ce avec une entente tacite entre les deux exécutants. Au troisième mouvement, non seulement Mme Robert fit chanter son violon, mais elle le fit parler, se confier. Enfin, au final, ce fut un carillon, une allégresse, d’enthousiastes accords plaqués au piano.
Il n’y eut pas de rappel. Après cette tornade, ce n’était pas requis. Tout avait été dit. Les musiciens avaient tout donné. En résumé, flegme et finesse chez M. Latour, un jeu d’une rare puissance chez Mme Robert, visiblement une maîtresse-femme.