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Maraboutés par les violons scandinaves de Jean-François Bélanger
Gisèle Bart-Le 9 avril dernier, à Prévost, sur les vingt et une pièces au programme, non moins que vingt étaient du compositeur, multiinstrumentiste, manieur ce soir-là de ses bien-aimées vièles à clés, visiblement chef de file, M. Jean-François Bélanger. Il était entouré de Yann Falquet, spécialiste de la guitare acoustique folk, de Élisabeth Giroux, violoncelliste très en demande notamment par le prestigieux La La La Human Steps et, exceptionnellement, du percussionniste Bernard Ouellette dont le visage de grand-frère bienveillant hante désormais nos soirées à Diffusions Amal’Gamme.
On nous avait parlé d’une « invitation au recueillement autant qu’à la fête ». Personnellement c’est une incitation à l’introspection que j’ai vécue. En effet, psychiatre de surcroît, M. Bélanger ne cache pas la fascination qu’il a pour les zones contradictoires de l’âme humaine laquelle oscille sans cesse entre l’ombre et la lumière. J’en veux pour démonstration les titres on ne peut plus intrigants, voire inquiétants de ses compositions : Les heures arides, Le feu d’équerre, Les vents orfèvres, Valse nuptiale, Les antres algiques, Aube en vrille, Suite celte et scandinave, Le pensoir, La route vivide, La gronde, Les eaux de l’oubli, Jökulhlaup, les ornières du vide, Horreur boréale, Les adieux, Pitou’s trip to Norway, Raukar-Drakkar, La broussaille, Chemin de traverse, La tiraille.
Incontestablement, les vedettes de cette soirée se voulaient être des sortes de violons scandinaves inusités aux formes bizarroïdes dont leur génial manipulateur, M. Bélanger, nous décrivit avec tendresse les différentes caractéristiques et nous raconta les belles histoires et les fascinants parcours. Le premier, le nyckelharpa, « petite église portative », possède des clés en bois qui produisent parallèlement un cliquetis non seulement agréable, mais également percussif. Le second et le troisième sont des variantes du premier, le Kontrabasharpa, primitif à l’apparence « préhistorique » et le tenorharpa. Enfin, le quatrième, le violon Hardanger, est muni de cordes sympathiques lesquelles ajoutent de la résonnance de par la vibration et non par le toucher. Nous serons prévenus : « Si ça couique, si ça grince, si ça fausse, c’est pas nous…! »
Couiquer, grincer, fausser fut rare sauf à bon escient pour le besoin des œuvres. Pendant une heure et demie, nous avons plutôt été tour à tour bercés, ensorcelés, effrayés. Nous sommes passés de la gravité au sautillant folklorique comme dans le temps de nos « jupes paysannes » « qui volaient, qui volaient au vent ». Ce fut mélancolique et fantastique, mystérieux, inquiétant et hypnotique. Ce fut euphorique lorsque la guimbarde de Yann Falquet apparut et que nous nous sommes retrouvés dans nos reels du Jour de l’An. Ce fut étrange lorsqu’un sifflement venu d’on ne sait où vint nous envoûter, lorsque de bizarres bruits de gorge proches du grognement vinrent nous surprendre, chants harmoniques ajoutés par Falquet aux cordes de son arc. Puis, nous sommes passés du calme implacable du Raukar, majestueuse formation rocheuse sculptée par la mer, à la véhémence cavalière de l’arrivée des Vikings sur leurs drakkars. Parfois le « tambour à cadre » battit au cœur, battit au ventre comme ceux de nos Amérindiens.
Le son enchanteur des violons maniés avec amour par M. Bélanger fut quasi omniprésent, du doux solo de l’intro jusqu’au pincement au cœur de La tiraille finale. Nos âmes frémirent sous l’archet du violoncelle, le guitariste nous procura de profondes émotions, parfois légers coups d’ailes, parfois virtuosité. Le seul morceau qui n’était pas de M. Bélanger était de lui, composé pour sa dulcinée. Intro toute de grâce par lui-même, « Nathalie a dit oui… » commenta le chef d’orchestre. Aucun doute là-dessus. Quant au percussionniste, il s’activa avec raffinement à nous captiver autant qu’à nous effrayer par sa panoplie de jouets, cajon, glockenspiel, balais ou maillets, doigts baladeurs sur le chimes, clochettes cachées, rik, tambourin et j’en passe. Pour ce qui est de M. Bélanger lui-même, sachant de source sûre que « la psychiatrie en est encore à ses balbutiements, qu’elle est l’enfant pauvre de la médecine de par la parcimonie des répartiteurs de fonds publics et qu’elle plane encore dans l’obscurité », j’ose espérer, vu son jeune âge, qu’il la fera avancer, ne serait-ce que par sa musique et ses vents orfèvres.