Un mot à dire sur notre destinée

Odette Morin
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Certains se demanderont pourquoi s’acharner sur un sujet qui ne fait presque plus la manchette. Après la très rassurante annonce de l’Évaluation environnementale stratégique (EES), nous apprenons que les groupes de citoyens et d’environnementalistes ont été exclus de son comité.

Lors d’une réunion à Oslo le 19 mai, Michael Binnion, président-directeur général de Questerre affirmait, devant les actionnaires de la compagnie que « l’EES que Québec a enclenchée pour déterminer s’il faut aller de l’avant avec la filière des gaz de schiste est en réalité moins un exercice scientifique qu’un exercice politique et éducatif qui permettra aux Québécois d’apprivoiser une industrie étrangère à leur culture, et à la bureaucratie francophone de se mettre à l’heure de cette technologie ».

Dans une lettre au journal Le Devoir, les membres du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste nous ont fait part de leur inquiétude en ce qui a trait à la composition du comité de l’EES. En plus de déplorer l’absence des organisations citoyennes et des groupes environnementaux, ils s’étonnent de l’exclusion par le gouvernement de plusieurs champs de compétence. Ont été écartés du comité les experts en politique énergétique, en économie, en comptabilité publique, en sociologie, en santé publique, en aménagement, en agriculture, etc. , et j’ajouterais en hydrologie.

Ils concluent cette lettre comme suit : « En tant que scientifiques, nous constatons que l’EES telle qu’elle se présente à l’heure actuelle ne répond pas aux attentes en ce qui a trait à la pertinence et à la rigueur nécessaire dans le cadre d’une telle démarche. Sans des correctifs importants quant au mandat du Comité, sans des ajouts significatifs en matière de ressources compétentes, sans un rigoureux plan de travail, sans une transparence qui garantisse la participation du public, nous craignons que cette étude devienne un exercice stérile, voire une imposture ».

Il est légitime de se demander si nous avons encore un mot à dire sur notre destinée. Nous serons ceux qui financeront cette étude qui profitera à l’industrie. De plus, nous et notre descendance serons ceux qui subiront les dommages environnementaux et qui paieront pour tenter de les réparer. Depuis l’avènement de cette filière, les principes fondamentaux de la démocratie ont été bafoués. Nous n’avons pas un mot à dire. Aujourd’hui, il semble que les intérêts financiers des grandes compagnies priment sur la salubrité de notre eau, de notre air et de nos sols. Devrait-on en plus leur dérouler le tapis rouge pour laisser ces compagnies se servir au grand buffet ouvert qu’est le Québec.

Selon Louis-Gilles Francoeur du journal Le Devoir, en 2010, on a connu une augmentation record de 5% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les grands pollueurs tardent à s’entendre sur un plan de réduction des émissions de GES destiné à stabiliser la hausse du climat planétaire à 2 degrés Celsius comme il avait été convenu à Copenhague. À ce rythme, le seuil de 32 milliards de tonnes de GES par année, le sommet anticipé pour 2020 qui constitue la limite à ne jamais dépasser, sera atteint en 2012, soit neuf ans plus tôt. Au-delà de 2 degrés, le réchauffement climatique commencera à s’engager dans une phase d’auto-alimentation incontrôlable. Cette hausse de température libérera des milliards de tonnes de méthane enfouies dans le pergélisol nordique et au fond des mers sous forme d’hydrate de méthane, une sorte de glace qui s’enflamme au contact de l’oxygène !

Pendant que nous nous dirigeons, vitesse grand V vers la catastrophe, nos dirigeants laissent tomber les énergies alternatives peu ou pas polluantes en faveur de ce gaz. Plusieurs éminents experts s’accordent pour dire qu’en additionnant toutes les étapes de l’exploration, de l’extraction avec la combustion du gaz de schiste, on arrive à un bilan plus lourd en GES que celui du charbon. Depuis quelques années, on assiste à une frénésie de forage aux États-Unis et au Canada. Au Texas, où la sécheresse sévit depuis plusieurs années, les gens commencent à en avoir ras le bol, car ils doivent se rationner en eau tout en regardant passer à longueur de journée, des centaines de camions-citernes remplis à bloc d’eau potable destinée aux forages.

Comme le dit si bien M. Francoeur « les vrais décideurs de ce monde roulent dans de gros 4 x 4 climatisés dans lesquels ils se sentent à l’abri de toute crise climatique ».

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