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À propos du gaz de schiste, les médias ont beaucoup parlé de l’utilisation abusive de l’eau par cette industrie et des risques réels de contamination de la nappe phréatique. Par contre, les niveaux de pollution de l’air dans la périphérie des sites de forage sont tout aussi inquiétants. Chez nos voisins du sud, le Colorado Department of Public Health a déclaré que les émissions de polluants responsables du smog émanant de l’industrie du gaz et du pétrole avaient supplanté le total des émissions de toute la flotte des véhicules motorisés de l’état pour l’année 2008. Pour la même année et pour la première fois dans son histoire, l’état du Wyoming, pourtant très peu urbanisé avec un peu moins de 600,000 habitants, n’a pas rencontré les standards minimaux de qualité de l’air. Dans la périphérie de Dallas au Texas (une région fortement urbanisée), dès que des scientifiques tentaient d’installer leurs instruments pour mesurer la pollution près des puits de gaz, ils se faisaient vite repérer par les exploitants, lesquels s’empressaient de stopper toutes les machines. Grâce à une nouvelle technologie (Picarro), des techniciens purent prendre des mesures à bord d’un véhicule banalisé en marche. À plusieurs reprises, ils se rendirent compte qu’ils traversaient des volutes de méthane comptant plus de 50 parties par millions (ppm), soit la mesure maximale de leur instrument. Le taux normal de méthane dans l’air est de 1,8 ppm. Un dépassement du seuil tolérable d’émission doit être obligatoirement déclaré aux autorités, ce qui n’a jamais été fait par les exploitants des puits. André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA), a déclaré qu’« avec 40 jours de smog par année, la Montérégie ne peut se permettre la pollution additionnelle qui viendra avec l’industrie du gaz de schiste. Il ne faut pas ajouter de la pollution au moment où il faudrait la réduire ». Selon M. Bélisle « On a démantelé le réseau de surveillance de qualité de l’air » et il ne resterait qu’une poignée de stations de surveillance dans les régions où le gaz de schiste serait exploité, comme la Montérégie et le Centre-du-Québec.
Des experts se mouillent
Marc Durand, un éminent géologue et professeur à la retraite de l’UQAM croit que l’industrie sera partie depuis longtemps quand de sérieux problèmes apparaîtront. Il affirme que le shale (schiste) d’Utica sert de barrière contre les couches géologiques plus profondes, qui contiennent de l’eau fortement saline et minéralisée, de 10 à 12 fois plus salée que l’eau de mer. Après avoir rendu le schiste perméable par la fracturation, l’eau salée trouvera son chemin de même que les liquides que l’industrie y aura injectés. « Je me suis toujours trouvé du côté de ceux qui trouvent que les écologistes exagèrent, mais je sentais que j’avais des connaissances à partager au sujet des gaz de schiste » a avoué M. Durand.
Jacques Fortin, professeur de sciences comptable à l’École des Hautes Études commerciales (HEC) est on ne peut plus dubitatif en ce qui a trait aux supposés avantages économiques reliés au gaz de schiste. Voici un extrait de son article « J’ai toujours été troublé par le discours de tous ces gens qui prétendent savoir ce qui est bon pour moi et qui tentent de me vendre leurs rêves en comptant sur la rhétorique plutôt que sur la logique comptable… Dans ce cas, je sais que je pourrai difficilement y échapper et que l’erreur risque de me coûter cher… faute d’imputabilité l’erreur est probable et que si préjudice il y a, vu le temps de réaction, c’est à ma succession que bénéficiera la réparation ».
«…la Montérégie ne peut se permettre la pollution additionnelle qui viendra avec l’industrie du gaz de schiste. Il ne faut pas ajouter de la pollution au moment où il faudrait la réduire » – André Bélisle, président de l’AQLPA
Vers la fin janvier, on apprenait la nomination de Lucien Bouchard à la tête de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ). Cette nouvelle suscite le scepticisme pour plusieurs raisons dont le fait que le salaire de M. Bouchard sera entièrement assumé par Talisman Energy, une société albertaine qui, en passant, a reçu et continue de recevoir des avis d’infractions au Québec comme aux États-Unis. Malgré le fait que ses talents d’orateur soient nettement supérieurs à ceux d’André Caillé, rien ne prouve qu’il fasse mieux pour convaincre la population (de mieux en mieux informée) des bienfaits du gaz de schiste.
De son côté, Michael Binnion, président de Questerre (autre compagnie albertaine), craint que le BAPE soit influencé par les pressions populaires et politiques. Étonné par le battage médiatique et la mobilisation des regroupements de citoyens au Québec, il a affirmé que « Dans l’Ouest canadien, les gens comprennent déjà ce qu’est l’industrie ». Selon M. Binnion, les journalistes (au Québec) pratiquent les 5 « C » en provoquant « la confusion, la controverse, le conflit et le chaos. Et n’oublions pas qu’ils ne savent pas compter ».
Dernièrement, on apprenait que le gaz de schiste est arrivé, comme ici, en catimini chez nos cousins français. Le gouvernement et l’industrie leur servent le même discours qu’ils nous ont servi ici, c’est-à-dire qu’ils ne feront pas comme aux États-Unis, qu’ils feront le tout beaucoup plus proprement là-bas. La résistance citoyenne s’organise chez les Gaulois, comme l’a rapporté José Bové lors d’une entrevue à l’émission de Christiane Charrette à Radio-Canada. Il est question que des communes de France soient jumelées à des villages québécois dans leur lutte pour empêcher l’implantation précipitée de cette industrie.
À suivre.