Étoiles montantes

Janelle Fung et Timothy Chooi
Sylvie Prévost
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Sylvie Prévost-  

En fait de feux, ce furent des feux d’artifice !

Janelle Fung et Timothy Chooi, tous deux natifs de Vancouver, font partie de la cohorte des jeunes virtuoses à suivre. Si elle est désormais établie en professionnelle à Montréal, lui est encore étudiant.

La soirée a commencé par la Havanaise de Saint-Saëns, l’une de ces pièces françaises inspirée par l’Espagne comme il y en eut plusieurs à cette époque. Elle a été interprétée ici de façon plutôt romantique, très chantante, ce qui lui a donné une aura plus fraîche qu’ardente, bien que les tensions dramatiques y aient été fort appuyées. Ce n’est pas une pièce facile, souvent dans les suraigus du violon, parsemée de glissandi qu’il faut réussir pour rendre le mouvement de la danse, mais Chooi l’a jouée sans sourciller et avec une sensualité certaine, fort bien soutenu par la pianiste.

Samedi 12 mars 2016 : Pleins feux sur Chooi et Fung
Timothy Chooi, violoniste et Janelle Fung, pianiste. C. Saint-Saëns : Havanaise ; S. Prokofiev : Sonate pour violon no 2 en ré majeur ; W. A. Mozart : Sonate pour violon K. 304 en mi mineur ; T. A. Vitali : Chaconne ; A. Bazzini : La Ronde des lutins.

La Sonate pour violon no 2 de Prokofiev, pièce de résistance du concert, a été un coup de poing au ventre. Le premier mouvement met en opposition le rêve et la réalité, la mélancolie de souvenirs heureux et la guerre. Il place le piano et le violon en dissonances quasi permanentes. L’un et l’autre ont démontré une forte présence. Le second mouvement en rajoute, sous la forme de syncopes, de sarcasme forcené, de tourbillons déstabilisants, dans lesquels aucun des musiciens n’a perdu pied. Les troisième et quatrième mouvements, qui font mal comme un bleu sur lequel on presse, ont démontré un équilibre parfait entre les deux instruments. Le piano ici ponctue régulièrement ce que dit le violon, il fait une intrusion forte puis disparaît, ce que Mme Fung a merveilleusement réussi. Voilà une pièce virtuose pour le violon, et elle demande une profondeur dans l’expression que M. Chooi semble avoir tout naturellement.

Après la pause, nous reculons dans le temps pour entendre la sonate K. 304 de Mozart, pleine de grâce, mais sans mièvrerie. Encore une fois, nous constatons la densité de présence des interprètes, même dans les pianissimos. Par contre, on peut discuter l’interprétation, car elle verse dans le romantisme. L’époque classique, celle à laquelle appartient Mozart, n’encourageait pas l’exposition des sentiments. C’est justement ce contre quoi le romantisme s’est insurgé au siècle suivant. S’il est vrai que Mozart a composé cette sonate à la suite du décès de sa mère et qu’il ressentait probablement culpabilité et tristesse, accentuer sciemment ces émotions relève d’un choix esthétique que les interprètes doivent être prêts à justifier. On peut considérer que « romantiser » renouvelle notre expérience de cette pièce. Mais c’est un choix délicat, auquel un étudiant se doit de réfléchir, car il faut prendre garde à ne pas aplanir les genres.

La même réflexion s’applique à la Chaconne qui a suivi. Le thème est dramatique au départ et chaque variation nous l’a fait voir comme à travers un prisme faisant ressortir toute sorte d’émotions. Pardonnez-moi une comparaison un peu iconoclaste… c’est un peu comme de la musique de film, dont le thème est arrangé en fonction de l’action. Cela dit, l’habileté des interprètes et la profondeur des émotions qu’ils sont aptes à exprimer ne font aucun doute.

Finalement, La Ronde des lutins a terminé brillamment ce concert, comme un joyeux et savoureux dessert, servi par une virtuosité souriante et heureuse.

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