Le charme des « rigoles » printanières

Gisèle Bart
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Milot à la harpe, Bareil au violon

Ils ne m’en voudront pas si je qualifie de « beau p’tit couple » celui qui est venu nous charmer par sa musique ce dimanche 14 février à Prévost, invité par Diffusions Amal’Gamme. Il s’agissait du violoniste et compositeur Antoine Bareil et de la harpiste Valérie Milot.

Stéphane Laporte nous l’avait suggéré : « Ne gâchez pas votre plaisir… il y a des entreprises plus importantes à dénoncer que celle de la Saint-Valentin… Vaut mieux encourager les marchands de fleurs que les marchands d’armes !… » Ainsi, ce dimanche après-midi, nous nous sommes amenés nombreux à la salle Saint-François-Xavier.

Je m’amuse souvent à tenter de situer quelle partie de moi est spécifiquement touchée par un instrument de musique. Or, c’est dans mon être tout entier que se répand l’indescriptible son de la harpe. Il résonne en moi comme celui de ces « rigoles » printanières qui me rappellent le cristal entrechoqué aux tablées de chez ma grand-mère.

Ostensiblement amoureux, se taquinant mutuellement, Antoine et Valérie avaient décidé d’agrémenter d’un coulis de chocolat l’austérité exigée de tout musicien voué à son art comme à un sacerdoce et auquel, ça s’entendait, ils s’étaient consacrés depuis moult décennies. Passés maîtres tous les deux dans leur discipline, ils étaient sur scène détendus, visiblement déterminés à distiller du plaisir et à le partager avec nous.
Aucun des deux protagonistes, violoniste ou harpiste, n’eut la vedette dans ce concert. Au contraire c’est tour à tour qu’ils furent le maître d’œuvre, soutenu et accompagné par l’autre. Ainsi, opposés rythmiquement puis harmonisés dans un hispanique Manuel de Falla, c’est plus la harpe qui s’imposa dans Castille, 1382, composition de Bareil d’après Senleches, alors que l’intrusion en douceur du violon y prit des accents de ménestrel moyenâgeux. Du Canadien Murray Schafer nous fut joué un iconoclaste Wild Bird. Plus descriptive que mélodique, arabesques, envols, facéties de l’oiseau, roucoulements, bourdonnements de mouches, ce fut une pièce déstabilisante qui secoua nos habitus. Un son du violon, suraigu, très pur, à peine audible, vint nous transpercer et aucun des deux oiseaux n’y eut le dernier mot. Dans Old Friends, Paul Simon/A.Bareil, la douceur du violon, juste et parfait, avec l’un de ces rauques si prégnants, contrasta cette fois avec une harpe des plus énergiques.

Après la pause, suivit une pièce vivifiante, Dance de Rajna. Un brin plus mélodieuse que notre oiseau, quoique ce fut une course plus qu’une danse. Quelques notes très basses auxquelles on est peu habitués de la part d’une harpe y furent hautement appréciées du public. Passation de pouvoir, la harpiste se fit à son tour accompagnatrice d’un violon en force pour Méditation de Massenet. Enfin, les deux amoureux partagèrent avec nous une autre de leurs passions, les films de Sergio Leone et de son compositeur fétiche, Ennio Morricone, avec lequel Antoine Bareil eut l’occasion de collaborer, excusez-le du peu. Rien ne manqua dans cette Suite Morricone & Leone, mixage de Morricone et de Bareil par ce dernier, jusqu’aux cavalcades au trot puis au galop. Puis, au violon, la mélodie jouée à l’harmonica par ce jeune garçon qui soutenait sur ses épaules son père, la corde au cou, une scène des plus éprouvantes du film Il était une fois dans l’Ouest, imprimée au fer rouge dans nos mémoires. Indéniablement ce fut là le passage le plus intense de ce concert. En rappel, un clin d’œil sautillant, Variations sur la très québécoise chanson Mon merle, arrangée « à la Bach » par Bareil, « d’une durée d’une minute vingt-trois secondes très exactement ».

Et pour clore mes palabres, j’emprunterai à Raoul Cyr, président de DAG, le terme de « savoureux » pour qualifier ce bel après-midi de belle musique.

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