La chaise des générations

Un symbole pour incarner les générations futures à l’hôtel de ville

Nicolas Michaud – À l’occasion de la séance ordinaire du conseil municipal du 13 mai dernier, les représentants de la Ville de Prévost ont accueilli fièrement leur Chaise des générations. Le Journal a interrogé les principales parties prenantes avant d’analyser et d’évaluer la pertinence d’un tel projet.

« Cette Chaise témoigne de toute la créativité et de la vivacité d’esprit dont fait preuve notre jeunesse […] Notre travail comme élu et élue, c’est pour eux que nous le faisons. C’est ce que nous rappelle un symbole fort comme celui de la Chaise des générations. Je tiens à remercier tous les élèves qui ont pris part à ce projet. Vous avez réalisé une œuvre marquante qui restera longtemps au conseil et nous rappellera l’importance de garder à l’esprit l’avenir de nos jeunes et des prochaines générations dans nos décisions. » Ce sont en ces termes que le maire Paul Germain a accepté le contrat sacré qui lie maintenant le conseil municipal de Prévost avec les générations futures de sa région, voire du monde.

« Vous avez réalisé une œuvre marquante qui restera longtemps au conseil et nous rappellera l’importance de garder à l’esprit l’avenir de nos jeunes et des prochaines générations dans nos décisions. » Paul Germain, maire de Prévost – Courtoisie de la Ville de Prévost

Le projet Une ville, une chaise

Alors que les Municipalités exercent plusieurs champs de compétence en matière d’environnement tels que le transport collectif et actif, l’aménagement du territoire ou la gestion des déchets, le chef de cabinet du maire Bruno Marchand de la Ville de Québec en la personne de Clément Laberge a eu l’idée d’un symbole fort pour représenter les prochaines générations lors des séances du conseil municipal. L’objectif de ce symbole est de rappeler aux élus qu’ils doivent impérativement prendre en considération les enjeux socioenvironnementaux de demain dans leur gouvernance d’aujourd’hui.

L’initiative de la Chaise des générations étant née, elle a ensuite été reprise et est maintenant portée par Mères au front. Sur leur site Web, l’organisme explique le déroulement de ce projet : « Dans leur municipalité, leur ville, leur village ou leur arrondissement, les mères et grands-mères au front font équipe avec une école pour la transformation, à l’aide de matériaux recyclés, d’une chaise récupérée localement. La Chaise est offerte au conseil municipal, pour qu’elle soit placée en permanence autour de la table où se prennent les décisions, afin qu’une voix symbolique soit accordée aux générations futures. »

La longue histoire de la chaise en carton prévostoise

C’étaient dans les années 1980 ou 1990, dans « leur période carton », que les artistes locaux Roch Lanthier et Ginette Robitaille ramassaient des piles de carton sur le bord de la route. Destinées à l’enfouissement, ces piles étaient amenées dans leurs ateliers afin d’effectuer une série d’expérimentations avec ce matériau, ce trésordure. À l’instar de l’aphorisme apocryphe « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » du chimiste-philosophe français Antoine Lavoisier, le sculpteur Roch Lanthier considère que « le déchet n’existe pas : tout est de la matière première. »

Puis, alors que sa compagne Ginette Robitaille, une céramiste professionnelle, modelait du carton imbibé pour créer des cache-pots, il a eu l’idée d’utiliser cette matière recyclée et esthétiquement pratique pour en faire des chapeaux. Près de 2000 chapeaux plus tard, dont plusieurs ont trouvé leur chemin jusqu’à une boutique hawaïenne, ce fils de menuisier a décidé d’employer ses nouvelles techniques pour la fabrication de mobilier en carton.

Très résistant, son prototype de chaise a d’ailleurs été trimbalé dans quelques expositions avant de retenir l’attention de Tricentris qui en commanda quatre unités. Bien des années plus tard et plus récemment, ayant déjà pris connaissance du projet Une ville, une chaise piloté par l’organisme Mères au front, l’artiste a été approché par la Ville de Prévost qui souhaitait l’impliquer dans ce projet. Fortement intéressé, ce citoyen engagé a tout bonnement demandé au centre de tri s’il pouvait se défaire de l’une des quatre chaises pour ce projet civique afin qu’elle soit décorée par les élèves de 6e année de l’école primaire du Champ-Fleuri.

La petite histoire de la chaise de l’école du Champ-Fleuri

« Quand on est allé dans les classes pour travailler avec les enfants, ils étaient très allumés et très sensibilisés à l’environnement. Pour moi, ç’a été une bouffée d’espoir dans le fond de voir que les enfants, eux aussi, avaient ce mouvement-là pour l’environnement. Je me suis automatiquement senti moins seul dans mon parcours. » — Roch Lanthier, sculpteur activiste

Dans le cadre de cet exercice créatif, Roch Lanthier et Ginette Robitaille ont tous deux accompagné ces élèves, dans leur classe. Ces enfants ont décoré leur Chaise des générations avec des branches pour évoquer les forêts prévostoises, du plastique recyclé de couleur bleue pour représenter les lacs et cours d’eau situés sur le territoire, et des poèmes composés à partir des lettres découpées dans des papiers journaux afin de rappeler leur message écologiste à tous les membres du conseil municipal. Les élèves en ont également profité pour participer à des ateliers de réflexions et de discussions animés par leur enseignante, Manon Brisebois, et la technicienne au Service de l’environnement de la Ville de Prévost, Rafaëlle Charbonneau.

Un trône symbolique, le rôle du symbolisme

Aujourd’hui, présentes dans les salles des conseils municipaux de plus de 80 villes et villages au Québec, si ces chaises amènent symboliquement la présence d’enfants dans les lieux de décisions, ce serait précisément grâce au fait que ces chaises restent vacantes. Comme l’explique Roch Lanthier : « La chaise, vide… qu’il n’y ait personne assis dessus… déjà, tu soupçonnes une absence comme… Anciennement, dans les maisons, il y avait une berçante où les grands-parents s’installaient. Quand les grands-parents décédaient, la berçante restait là. Et donc, l’absence était plus forte que la présence du personnage. La chaise vide, pour moi, c’est ça. Les enfants ne vont pas au conseil municipal, mais qu’ils aient une chaise vide qui les représente, ça oblige les élus de penser aux enfants. Même si ce n’est pas conscient dans l’esprit des gens, je suis certain que ça agit sur le subconscient. »

Sur ce point, la littérature scientifique issue des sciences sociales démontre que l’exposition à un symbole (qu’il soit national comme le drapeau québécois, religieux comme la croix chrétienne, informationnel comme le pictogramme nucléaire sur les risques de radioactivité, publicitaire comme le logo d’Apple, etc.) peut produire d’importants effets psychosociaux. En tant que signifié, le symbole entretiendrait un rapport analogique très fort avec le signifiant, soit son support physique, qui deviendrait évocateur de sens. Ayant le potentiel d’activer automatiquement des valeurs, des émotions ou des concepts abstraits chez l’être humain, le pouvoir d’un symbole résiderait dans sa capacité à produire du sens et à communiquer ce sens. Au cours de ce processus, la fonction symbolique dans la construction des représentations individuelles ou collectives pourrait provoquer une modification des croyances fondamentales par l’intériorisation et l’internalisation d’autres normes et valeurs. L’exemple de la Chaise des générations, en tant que symbole fort, pourrait donc transformer la psyché des décideurs politiques et, par le fait même, leurs actions en leur faisant porter une plus grande attention aux enjeux environnementaux.

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