Imperium americana

Le symbole de l’impérialisme américain en Irak – www.indigne-du-canape.com/la-domination-des-usa-est-culturelle-et-si-nous-commencions-par-ne-plus-etre-americains/
Daniel Machabée
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Un empire dans un monde décadent

Daniel Machabée – « Toute notre action est un cri de guerre contre l’impérialisme et un appel vibrant à l’unité des peuples contre le grand ennemi du genre humain : les États-Unis. » Ernesto Che Gevara, 1967.

Depuis deux millénaires, l’humanité a subi les vagues successives d’un quelconque impérialisme : Rome a installé en -27 de notre ère, autour de la Méditerranée, les structures sociales, politiques et linguistiques du premier empire qui a jeté les bases de l’Occident. Rome était plus qu’un empire ; c’était une idée, une vision intemporelle. Puis, héritière de cette Rome disparue, l’Europe a vu d’autres empires tels le Saint-Empire germanique, l’Empire français et l’Empire britannique imposer leurs vues et leur puissance sur un grand nombre de territoires, en Europe comme en Amérique, en Asie et en Afrique. L’arrivée du XXe siècle a vu d’autres empires remplacer les empires mourants : le Japon en Asie, l’empire soviétique à l’Est et, bien sûr, l’empire américain à l’Ouest. Qu’on aime les Américains ou qu’on les déteste, leur empreinte sur notre quotidien est indéniable. Mais comment les Américains sont-ils parvenus à dominer le monde?

La conquête du territoire : le lebensraum états-unien

Un empire a d’abord besoin d’une assise territoriale. Au XIXe siècle, après avoir acquis leur indépendance en 1783, les États-Unis se lancent dans la conquête du territoire situé à l’ouest des Appalaches. Ainsi, avec l’achat de la Louisiane à la France en 1803 pour 15 millions de dollars, les États-Unis doublent leur superficie. Avec l’échec de l’invasion canadienne en 1812, les États-Unis se « contenteront » des territoires plus au sud, délimités par la convention de 1818 établissant le 49e parallèle comme frontière avec les territoires britanniques, ce qui a donné aux États-Unis un accès aux territoires partant du Minnesota jusqu’à l’État de Washington actuel, ce qui s’appelait autrefois l’Oregon County. Le 10 juillet 1821, les États-Unis signent avec la Nouvelle-Espagne le traité d’Adams-Onis qui fixe la frontière entre ces deux pays : la totalité de la Floride espagnole est vendue aux États-Unis, alors que les territoires du Nouveau-Mexique, du Texas et du Colorado passent aux Espagnols. Le 29 décembre 1845, le Texas, après une courte indépendance, rejoint l’Union et amène avec lui une grande partie de territoires mexicains. Trois années après, le traité de Guadalupe Hidalgo mettant fin à la guerre américano-mexicaine, se soldent par la cession des territoires mexicains du Sud-ouest américain allant du Wyoming à la Californie. Le 11 octobre 1867, autre coup fumant du Congrès : les États-Unis achètent l’Alaska à la Russie pour la modique somme de sept millions de dollars. Finalement, le 14 juin 1900, le royaume d’Hawaï est annexé et organisé en territoire ; il deviendra le 50e état en 1959.

Les empires s’étendent généralement en conquérant d’autres territoires peuplés et en les incorporant. L’exemple des États-Unis est unique dans le monde ; ils ont conquis leur territoire de trois façons : en achetant les deux tiers de leurs futurs territoires, en occupant les quatre coins de ce qui allait devenir les États-Unis avec la légendaire conquête de l’Ouest à partir des expéditions de Lewis et Clark et en « tassant » les autochtones qui se sont vus complètement dépouillés de leurs terres.

La carte démontre les interventions militaires des États-Unis dans le monde depuis 1950 –Andrew0921

La naissance d’une grande puissance

Sortis de la guerre de Sécession en 1865, les États-Unis ont pris quelques années pour refaire leur union politique, finaliser la conquête de leur territoire et bâtir une économie de plus en plus solide et dominante. À l’aube du XXe siècle, les États-Unis sont déjà de forts concurrents dans toutes les sphères économiques mondiales et une des plus grandes puissances industrielles. L’effet de cette puissance économique se fait ressentir très fort au Québec : vers 1920, la majorité des capitaux proviennent désormais des États-Unis.

La puissance militaire américaine en était une qui s’ignorait jusqu’en 1917. À part quelques petites guerres continentales, l’armée américaine avait ses preuves à faire. Leur entrée tardive dans la Grande Guerre leur permit d’être proclamés gagnants malgré une action militaire limitée. Qu’à cela ne tienne, au traité de Versailles de 1919, le président Woodrow Wilson posa les jalons de l’hégémonie américaine en demandant que ledit traité soit écrit aussi en anglais alors que tous les traités internationaux depuis 1714 étaient signés en français1. C’est aussi à ce moment que la doctrine Wilson s’imposa et qui mit les bases de la Société des Nations.

Entre les deux guerres, les États-Unis continuèrent de développer leur économie en demeurant une terre d’opportunités pour chaque immigrant voulant commencer une nouvelle vie. Ainsi, en 1939, la population des États-Unis se chiffrait à 131 millions d’habitants, ce qui en faisait dès lors le troisième pays le plus peuplé de la planète.

De puissance à superpuissance

La Seconde Guerre mondiale va voir naître, à son dénouement, deux superpuissances diamétralement opposées qui vont se séparer le monde en sphère d’influence2. D’un côté il y a l’URSS de Staline qui réussit à Yalta à prendre le contrôle d’une grande partie de l’Europe de l’Est en tribut à son énorme effort de guerre. De l’autre côté, il y a bien sûr les États-Unis qui vont implanter de façon permanente leur hégémonie sur l’Occident et une bonne partie du monde. Contrairement aux pays européens, les États-Unis sortent intacts de la guerre. Leur formidable productivité et leurs structures industrielles n’ont jamais été inquiétées par leurs ennemis durant la guerre. Seule puissance demeurée en santé économiquement, c’est à ce point de l’Histoire que les États-Unis vont littéralement prendre le contrôle du monde. Voyons comment.

Opération Overlord

Lors d’une chronique précédente, on a vu comment le Débarquement de Normandie avait changé le cours de la guerre en ouvrant un second front à l’Ouest. Penchons-nous un peu sur l’origine du nom qui est tout sauf anodin. Overlord signifie suzerain en français. Dès l’entrée en guerre des États-Unis, il était clair que dans l’esprit du président Roosevelt, la France n’était plus une grande puissance. Ce n’est pas pour rien que Roosevelt a toujours mis le général De Gaulle à l’écart, car non seulement il se méfiait de lui, mais il avait des plans précis d’occupation d’une France libérée. À l’image de l’Italie, les États-Unis voulaient occuper le territoire « libéré » des nazis. C’est ainsi qu’à la suite du Débarquement du 6 juin 1944, ce fut la course entre les commissaires français de la France libre déjà nommés par De Gaulle à Londres qui devaient remplacer ceux du gouvernement de Vichy et ceux des administrateurs américains. Certes, on parlait d’une occupation pacifique et provisoire de la France comparée à celle de l’Allemagne nazie, mais d’une occupation tout de même avec de la monnaie d’occupation et des règles étrangères dans le but d’installer un gouvernement à la botte des intérêts américains. Il est intéressant de constater que lors d’une rencontre préparatoire entre Roosevelt et De Gaulle à Alger, André Philippe, un proche du général, rapporte les paroles suivantes du président américain : « Qui me donne Paris aura ma gratitude. » Ainsi, si les vichystes lui donnent Paris, les États-Unis traiteront avec eux3. Qu’on s’imagine la colère éloquente du général De Gaulle en sachant cela qui répondit : « Il faut se demander à qui Roosevelt fait la guerre : à Hitler ou à moi ? »

Le Plan Marshall et l’accord Blum-Byrnes

De son nom complet, le « Programme de rétablissement européen » est un programme de prêt américain accordé aux pays européens afin d’aider à la reconstruction de villes et des infrastructures. Ces prêts sont assortis de la condition sine qua non d’importer pour un montant équivalent d’équipements et de produits américains. En quatre années, la somme de ces prêts s’élève à 13,3 milliards de dollars (180 milliards aujourd’hui), soit davantage que 10 % du P.I.B. des pays concernés. L’Europe de l’Ouest tombe alors sous influence américaine. Laissons le général Marshall expliquer : « La vérité, c’est que les besoins de l’Europe pendant les trois ou quatre prochaines années en vivres et en autres produits essentiels importés de l’étranger – notamment d’Amérique – sont tellement plus grands que sa capacité actuelle de paiement qu’elle devra recevoir une aide supplémentaire très importante ou s’exposer à une dislocation économique, sociale et politique très grave. […] Il est logique que les États-Unis doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour aider à rétablir la santé économique du monde, sans laquelle la stabilité politique et la paix assurée sont impossibles.4 »

L’accord Blum-Byrnes est le penchant culturel du Plan Marshall. Signé le 28 mai 1946, cet accord liquide une partie de la dette française envers les États-Unis. En contrepartie, les États-Unis exigent que 80 % des films présentés au cinéma en France soient américains. C’est ainsi que le « narratif » américain, l’idéologie américaine, le mode de vie américain ont imposé jusque dans les foyers français et ailleurs l’hégémonie culturelle américaine. Elle est tout aussi présente de nos jours et il est de plus en plus urgent de combattre l’impérialisme américain sous toutes ses formes comme Charles de Gaulle l’avait si bien compris autrefois pour préserver ce qu’il reste de la diversité culturelle et linguistique de la planète.

1.               Voir chronique de juillet 2022.

2.               Les pertes militaires américaines se chiffrent à 2 % du total des Alliés, alors que celles de l’URSS s’élèvent à… 88 % !

3.               Dès 1940, les USA signent avec le gouvernement de Vichy un accord de libre-échange qui ouvrent le marché des colonies françaises aux Américains en échange de denrées alimentaires pour aider la France occupée.

4.               Discours du général Marshall le 5 juin 1947.

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