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Robert Nelson et la Déclaration d’Indépendance du Bas-Canada
Daniel Machabée – 28 février 1838 : Déclaration d’indépendance du Bas-Canada
- « Qu’à compter de ce jour et à l’avenir, le peuple du Bas-Canada est libre de toute allégeance à la Grande-Bretagne, et que le lien politique entre ce pouvoir et le Bas-Canada, est maintenant rompu. »1– Qu’à compter de ce jour, le Peuple du Bas-Canada est ABSOUS de toute allégeance à la Grande-Bretagne, et que toute connexion politique entre cette puissance et le Bas-Canada CESSE dès ce jour.2
- « Qu’une forme républicaine de gouvernement est celle qui convient le mieux au Bas-Canada, qui est ce jour déclaré être une république. »1 – Que le Bas-Canada doit prendre la forme d’un gouvernement RÉPUBLICAIN et se déclare maintenant, de fait, RÉPUBLIQUE.2
- Que sous le Gouvernement libre du Bas-Canada, tous les citoyens auront les même droits; les Sauvages cesseront d’être sujets à aucune disqualification civile quelconque, et jouiront des mêmes droits que les autres citoyens de l’État du Bas-Canada.2
Vous ne rêvez pas. Dans le Québec de cette époque, alors que les premières tentatives d’insurrections lors des Rébellions échouèrent dans le sang, certains Patriotes proclamèrent l’indépendance du Bas-Canada et voulurent instaurer une république3. Bien qu’éphémère et n’ayant aucune assise légale, juridique et politique, cette déclaration fut loin d’être une anecdote historique. Un an plus tard, sur l’échafaud de la prison du Pied-du-Courant à Montréal, le Chevalier de Lorimier s’écria devant ses bourreaux : « Vive la liberté ! Vive l’indépendance ! » Retour sur un aspect fort méconnu de notre histoire que certains voudraient laisser bien enterrer dans les cendres de notre mémoire collective.
Le contexte politique en janvier 1838
Après les défaites des Patriotes de Saint-Denis et de Saint-Eustache en novembre et en décembre 1837, quelques chefs patriotes, notamment Louis-Joseph Papineau, réussirent à rejoindre le Vermont, dans les environs du village d’Alburg Springs, près de Noyan. Robert Nelson, le plus ardent défenseur de la lutte armée contre les Britanniques, réussit à franchir la frontière avec 300 hommes en méditant profondément la revanche. On connaît les divergences de Papineau et de Nelson sur les moyens à prendre concernant les revendications des Patriotes. Papineau ne fut jamais partisan de la lutte armée et s’il se retrouva exilé aux États-Unis, c’est entre autres, à cause de sa participation à l’Assemblée des Six-Comtés qui préluda aux Rébellions.
Le 2 janvier 1838, les Patriotes se réunirent à Middlebury, au Vermont, afin d’établir la suite des actions à entreprendre. À ce moment-là, Papineau sembla se dissocier totalement des patriotes radicaux non seulement sur la violence du mouvement, mais également sur la rédaction d’une déclaration d’indépendance du Bas-Canada. En effet, l’abolition du régime seigneurial sans compensation y fut discutée, et Papineau y était radicalement opposé. Trois semaines plus tard, alors qu’on rédigea ladite déclaration, Robert Nelson pourfendit Papineau, qui était absent, en ces termes fort éloquents : « Papineau nous a abandonnés pour des motifs d’égoïsme et de famille, concernant les seigneuries, et pour son amour invétéré des mauvaises lois françaises4. » Or, les raisons de l’absence de Papineau sont connues : il ne croyait pas à une intervention américaine en faveur des Patriotes et il ne pensait pas non plus que les insurgés fussent en mesure de se procurer rapidement des armes.
La rédaction de la déclaration d’indépendance
Prenant comme modèle la Déclaration d’indépendance des États-Unis et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France, la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada fut d’abord une œuvre collective. Un seul manuscrit connu de ce texte nous est parvenu5. Il est de la plume de Louis Perreault, un ex-imprimeur du journal Vindicator dont les presses furent détruites par le Doric Club le 6 novembre 1837. Cette déclaration, signée du seul nom de Robert Nelson en sa qualité de chef de l’armée des Patriotes, explique comment la tyrannie des Anglais et le projet d’une nouvelle structure politique pour le Bas-Canada, à la hauteur des mouvements du XIXe siècle, justifient la rébellion armée qui prendra fin lorsque les objectifs de la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada seront atteints. Conscients de la faiblesse et de la position des rebelles, les rédacteurs lancent également un appel à l’aide aux États-Unis.
En traversant la frontière vers le nord, le 28 janvier 1838, à Caldwell’s Manor où il y eut une escarmouche avec les loyalistes, Robert Nelson fit pour la première fois une lecture publique de la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada. Lieu symbolique ou folie ? L’endroit est l’un des tout premiers lieux où vinrent s’établir les loyalistes au Québec à la suite de l’indépendance des États-Unis. L’intervention des loyalistes força les patriotes à retourner dans le Vermont. Neuf mois plus tard, le 4 novembre 1838, Nelson fit une seconde lecture au village de Saint-Cyprien comme en témoigna l’agriculteur Jacques-David Hébert présent ce jour-là : « Nelson arriva au village de Saint-Cyprien, armé d’un sabre et de deux pistolets, et accompagné de deux étrangers, que l’on disait être des officiers français (Hindenlang et Tournay). Ils sont descendus de leurs chevaux à la maison du docteur Côté où Nelson harangua la multitude rassemblée ! Après quoi, il demanda qu’on lui fournît 40 à 50 chevaux pour former une cavalerie. Le Dr Nelson, dans sa harangue, avait clairement expliqué que c’était contre le gouvernement anglais que l’on allait combattre, et qu’il fallait tout sacrifier pour le renverser. Il fit lire une proclamation déclarant le Bas-Canada indépendant et l’exemption de tous droits seigneuriaux et l’abolition des dîmes; la proclamation a été lue par un jeune homme à cheval que le déposant ne connaît pas6. »
Le préambule de la déclaration
La déclaration fut publiée en français dans Le Canadien du 12 mars 1838. Vu l’importance historique de ce texte, nous la mettons ici dans son intégralité : « Nous avons été opprimés par la main d’une puissance transatlantique, et injustement et cruellement châtiés avec la férule d’un incessant mauvais gouvernement pendant de nombreuses années, au point où la mesure de la tyrannie a débordé. Nous avons sans relâche, mais en vain, tenté de brider ce mauvais Gouvernement – en rescindant de mauvaises lois, en en passant de telles que nos institutions sortent du marais de l’ancienne vassalité et se haussent au niveau des formes de Gouvernement du dix-neuvième siècle; et à l’encontre de nos sentiments, nous en avons appelé à la force des armes, de manière à acquérir et nous assurer les droits dus à un peuple méritoire et libre, et nous ne déposerons les armes que lorsque nous aurons assuré à notre pays les bienfaits d’un Gouvernement patriotique et sympathique à notre cause. À toutes les personnes qui nous viendront en aide dans ces initiatives patriotiques, nous tendons la main de la fraternité et de la solidarité. Et toutes celles qui persisteront dans la course aveugle, entêtée, de pillage, de mise à sang et d’incendie qui a, pour notre tristesse et la souffrance de nos personnes âgées, de nos femmes et de nos enfants, marqué de façon si disgracieuse l’irrespectueuse carrière de Sir John Colborne, Commandant des Forces Britan-niques, et de ses supporteurs, nous devons pour notre défense, et en toute justice pour notre peuple et notre cause, riposter à la manière qui a été la leur à notre égard. Mais, comme plusieurs personnes regrettent leur conduite, et le Vandalisme de leurs associés – qui nous a poussés à la guerre; et comme notre sens de l’humanité – de la justice – et de l’honneur, est moulé dans un creuset différent de celui de nos oppresseurs, nous ne pouvons concilier nos principes et notre morale qu’avec ceux qui ailleurs que dans le Gouvernement Anglais du Canada, caractérisent l’époque dans laquelle nous vivons, et ne pouvons exercer envers eux leur sauvage comportement. En conséquence, nous promettons solennellement d’offrir sécurité et protection, dans leurs personnes et leurs propriétés, à tous ceux qui déposeront les armes et cesseront de nous opprimer – une promesse que notre caractère et la réputation des habitudes morales et pacifiques de notre peuple garantissent amplement. Tout autant nous ne déposerons les armes qu’au moment où nous aurons atteint et garanti l’objet de notre première Proclamation. Par ordre du Gouvernement Provisoire de l’État du Bas-Canada. », écriva Robert Nelson.
La portée historique de la déclaration
Si la déclaration n’a pas abouti à l’indépendance du Bas-Canada à cause des défaites de 1838, des pendaisons des Patriotes et de la promulgation de l’Acte d’Union, le document demeure d’une grande importance historique dans notre histoire. Avant-gardiste, outre de choisir un gouvernement républicain, celui-ci abolissait le régime seigneurial, préconisait l’égalité juridique de tous les individus, incluant les Amérindiens, accordait aux deux langues l’égalité politique et séparait l’aspect religieux de la vie publique. Si l’indépendance politique demeure à faire, les penseurs de cette déclaration proposèrent pour l’époque de véritables idées progressistes.
Nous sommes un peuple conquis, humilié dans les moments importants de nos luttes. Mais si nous fouillons quelque peu dans notre passé, nous pouvons voir que des gens qui ne sont pas nés nécessairement sur nos terres (Wolfred et Robert Nelson, Jules-Paul Tardivel, etc.) savaient déjà que notre seul salut réside dans notre émancipation collective. In Memoram.
- Texte interprété ou adapté selon www.1837.qc.ca, site Web du professeur d’histoire Gilles Laporte.
- Texte selon la copie de la déclaration originale.
- À noter que le Haut-Canada proclama également son indépendance à la même époque lors des Rébellions.
- Lettre de Robert Nelson à J.B. Bryan datée du 25 février 1838, citée dans Robert Nelson Déclaration d’Indépendance et autres écrits, édition établie par Georges Aubin, Montréal, Comeau et Nadeau, 1998.
- Il est surprenant de constater que l’original du manuscrit et sa version anglaise sont une propriété de l’État du Wisconsin.
- Insurrection. Examens volontaires, G. Aubin et Nicole Martin-Verenka, Montréal, Lux, 2007, volume 2.