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Gleason Théberge – On dirait deux cousins, deux amis, deux frères. On les croirait siamois, tellement ils ont l’air de chanter le même air, mais on s’y trompe allègrement. Les deux sonorités « aître » et « ètre » ne sont pas identiques.
Traître, faîte, tout comme hêtre et champêtre ont un « È » long, une sorte de « èè », qui les fait sonner plus longtemps que le « È » court de cacahuète ou noisette. Or, ce dernier È est aussi celui de kilomètre. Oui, oui. L’expression de la distance en mètre, centimètre, kilomètre et autres multiples et sous-multiples ont toujours le même « È » court qui les fait sonner comme « je mets » et pas comme « je fête ». On ne devrait donc pas prononcer kilomètre comme « kilomaître », mais plutôt comme « kilomettre ». Ce « È » court peut en effet être écrit selon deux graphies concurrentes : soit avec un simple « E » accentué, comme dans « je pèle »; soit suivi de deux consonnes, comme dans « j’appelle ». On notera d’ailleurs qu’une voyelle suivie de deux consonnes n’est jamais accentuée : inefficace, embellir, dilemme, miette, enterrer; et qu’une voyelle accentuée n’est jamais suivie de deux consonnes : ébahi, aisément, embêter, caractère…
Les deux points du tréma peuvent aussi être utilisés pour le « È » court, mais il est d’abord apparu sur le « E » sans l’accentuer dans des mots comme aiguë ou contiguë, pour éviter qu’on les prononce comme dans blague ou langue. Notez que la tendance actuelle (et logique) est de placer plutôt le tréma sur le « U », la voyelle réellement prononcée, pour écrire aigüe et contigüe. Mais dans des mots finissant en « E », surtout utilisés comme noms, le tréma sert à référer au « È » court, comme pour Joël, Michaël, Raphaël, dont on remarquera que le tréma disparaît dans l’équivalent féminin des mots (Joelle, Michaelle et Raphaelle), car la double consonne finale y remplit son rôle. Vous aurez évidemment déjà ajouté Noël à cette liste; mais attention, quand on parle de la Noël, c’est qu’on sous-entend la (fête de) Noël : il ne faut pas écrire la Noelle.
Bien sûr, à cause de la domination économique de l’anglais en technologie, sur nos claviers d’ordinateur et de multiphone, trouver les accents nécessaires n’est cependant pas toujours facile. Écrire J’amènerai l’élève là où la fête est prévue est plus difficile que taper I will bring the student at the fest expected. Certains y trouveront davantage d’embêtement, mais une fois connues, nos pratiques sans exception sont très simples. Elles confirment d’ailleurs au français un avantage sur l’anglais. Avec les mêmes lettres, on peut, par exemple, grâce à eux et sans ajouter beaucoup d’encre, distinguer si un biscuit est sale ou salé; voir la différence entre cote (valeur), côte (pente) et côté (partie); ou égout (canalisation) et goût (saveur).
Il y a en cela une belle occasion de se souhaiter en français la Noël la plus joyeuse, et espérer que personne n’aura à franchir trop de kilomètres pour en faire la fête en compagnie chaleureuse.