Un magnifique concert

Le samedi 28 octobre 2023 : Sonates d’automne – David Jalbert, piano; J. S. Bach, Partita no 1 en si bémol majeur, BWV 825; F. Chopin, Nocturne no 2 en mi bémol majeur, op. 55; F. Chopin, Polonaise no 1 en do dièse mineur, op. 26; F. Chopin, Barcarolle, op. 60; S. Prokofiev, Marche no 1 en fa mineur, op. 12; S. Prokofiev, Sonate no 8 en si bémol majeur, op. 84.
Sylvie Prévost
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Un de ceux qui nourrit longtemps

Sylvie Prévost – Quelle chance d’entendre un tel pianiste, ici, à Prévost !

Il est rare, comme me le faisait remarquer un admirateur, qu’un pianiste de haut calibre ne se cantonne pas à un style musical particulier. David Jalbert fait exception en couvrant, avec un égal bonheur, le baroque, le romantisme et la musique contemporaine. Les œuvres de son programme ont été jouées en ordre chronologique et l’évolution des formes musicales, les particularités de chaque pièce ainsi que les circonstances entourant leur composition ont été commentées avec une pertinence et une passion sans équivoque.

La Partita de Bach a été jouée à peu près sans pédale, en découpant bien les notes, ce qui respecte le style de l’époque. Le pianiste a fait preuve d’une grande élégance dans ses nuances : il a laissé la musique parler d’elle-même, sans en rajouter. J’ai une petite réticence, toutefois, devant ses reprises très ornementées. Il me semble que tout, chez Bach, est affaire de discours et que tant de trilles et mordants brouillent le propos. Les trilles en fin de phrases servent de sourire atténuant la conviction de ce qui précède, mais la foison d’ornementation me semble force courbettes inutiles. Mais c’est peut-être affaire de préférence. 

Chopin a été interprété de façon magistrale. Rarement ai-je entendu un Chopin sans mièvrerie, aussi soutenu, aussi charnu. Un Chopin qui n’est pas dans l’éther, mais qui vit intensément sur Terre. Le Nocturne a été marqué par une souplesse qui en respecte toutes les touchantes inflexions. Il en a fait un long chant, plein d’intensité. De la même façon, la Polonaise, tout en contraste entre délicatesse et fermeté, a témoigné d’une puissance d’évocation de tous les instants. Lorsqu’est venue la Barcarolle, nous avons pu vivre le mouvement et le miroitement de l’eau, le soleil qui apaise les tourments, la multiplicité des sentiments. Elle s’est terminée par une descente perlée magnifique. 

D’une tout autre espèce est Prokofiev, quoiqu’aussi audacieux en son époque que Chopin ait pu l’être à la sienne, sa Marche, œuvre de jeunesse en témoigne déjà. Jalbert a joué sa Sonate no 8 non seulement de façon magistrale, mais avec une intelligibilité remarquable. Il est facile de se perdre dans le labyrinthe d’un tel débordement de notes, d’harmonies souvent choquantes. Mais ici, tout se tient à la perfection, le scénario est digéré, il nous est livré avec clarté. À la sûreté du geste et à la virtuosité s’allient l’expressivité et l’intelligence du texte. 

Bref, ce fut un magnifique concert, un de ceux qui nourrit longtemps.

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