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La naissance de l’Union nationale
Daniel Machabée – L’Union nationale est un nom immanquablement associé à Maurice Duplessis. Qu’on l’aime ou non, le passage au pouvoir du « cheuf » de 1936 à 1939 puis de 1944 à 1959, a marqué profondément le Québec par son conservatisme, par sa relation étroite avec l’Église catholique, par sa haine du communisme et du syndicalisme, mais également par ses relations avec Ottawa, la création de l’impôt unique et, bien sûr, par son décret faisant du Fleurdelysé le drapeau officiel du Québec. Revenons sur les années méconnues de l’Union nationale, de sa fondation à sa prise du pouvoir en 1936.
Les ancêtres de l’Union nationale
Comme chaque parti politique, il y a un contexte à son apparition. Pour l’Union nationale, il y a deux partis qui fusionnèrent pour la créer. Maurice Duplessis a d’abord été candidat aux élections de 1923 sous la bannière du Parti conservateur du Québec (PCQ). Il perdit ses élections, mais se représenta en 1927 et réussit à se faire élire député des Trois-Rivières qui était, jusque-là, un bastion libéral. Le 4 octobre 1933, il remplaça Camillien Houde à la tête du parti qui avait alors fort à faire avec la mairie de Montréal, et devint chef de l’Opposition officielle à Québec. Ses premiers discours laissèrent entrevoir son ruralisme : « La province de Québec a toujours été et doit toujours être essentiellement agricole. »
En 1934, quelques membres dissidents du Parti libéral du Québec, dirigé alors par le Premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, quittèrent le gouvernement, insatisfaits de la gestion de celui-ci de la grande crise économique qui sévit dans la province depuis 1929. Ainsi, Philippe Hamel, Oscar Drouin, Joseph-Ernest Grégoire (le maire de Québec) et Paul Gouin quittèrent le parti pour fonder l’Action libérale nationale (ALN). Paul Gouin était le fils de l’ancien Premier ministre québécois Lomer Gouin et de la fille d’Honoré Mercier, Éliza Mercier.
Le 25 novembre 1935, les Québécois mâles furent convoqués aux urnes afin d’élire les députés de la 19e législature du Québec. Juste avant l’élection, le Parti conservateur et l’Alliance libérale annoncèrent le 7 novembre une entente en vue des élections pour joindre leurs forces contre le Parti libéral, au pouvoir sans interruption depuis 1897. Cette entente eut un nom : l’Alliance Gouin-Duplessis. Ainsi, dans chaque circonscription, il y eut un candidat unique d’un des deux partis. Sur les 90 circonscriptions électorales, l’ALN présenta 60 à 65 candidats et le PC dans 25 à 30. En cas de victoire, Duplessis serait Premier ministre, mais ça serait le programme de l’ALN qui prévaudrait. Malgré cette coalition, Le Parti libéral remporta l’élection, mais avec une mince majorité de seulement quatre députés. À noter que ce fut la dernière élection où Henri Bourassa se présenta dans le comté de Labelle où il fut battu, mettant fin à sa glorieuse carrière parlementaire.
Les élections de 1936
Malgré une quatrième victoire consécutive, le gouvernement libéral de Taschereau vécut sur du temps emprunté. En effet, le 7 mai 1936 s’ouvrit le Comité des comptes publics de l’Assemblée législative, convoqué par Maurice Duplessis lui-même. Durant les sessions, Duplessis attaqua sans relâche la corruption et le gaspillage qui engluaient le gouvernement Taschereau depuis longtemps déjà. Le coup fatal porté au gouvernement provint du frère du Premier ministre qui était comptable à l’Assemblée législative, Antoine Taschereau, qui avoua avoir donné de l’argent de l’État à son fils directeur de banque. Le 11 juin, moins de sept mois après la victoire libérale, incapable de faire adopter le budget, le Premier ministre Taschereau démissionna et annonça en même temps qu’une autre élection sera nécessaire pour dénouer l’impasse. Entretemps, le Parti conservateur du Québec et l’Alliance libérale nationale se fusionnèrent pour former l’Union nationale lors d’un congrès à Sherbrooke le 20 juin 1936. Du coup, Duplessis rompit avec Gouin alors qu’il reçut l’appui de 35 des 42 députés des deux partis.
Le Comité des comptes publics permit à Maurice Duplessis d’accroître sa notoriété de façon exponentielle. Excellent orateur, bâtonnier du Québec, il arriva donc en campagne électorale avec le couteau entre les dents. Durant celle-ci, il se posa en réformateur, s’engagea à s’attaquer aux « trusts », proposa des mesures pour assainir la politique et promit de sauver l’agriculture. Surtout, il insista sur la corruption du régime libéral, au pouvoir depuis 39 ans. L’élection du 17 août 1936 fut une victoire éclatante de l’Union nationale qui récolta 57,5 % des voix et fit élire 74 députés sur 90. Selon Le Devoir du 18 août 1936, « jamais Trois-Rivières ne fut témoin d’une manifestation aussi vibrante. C’est devant une foule de plus de 30 000 personnes que le nouveau premier ministre a adressé la parole lors d’un triomphe sans précédent qui dura pratiquement toute la nuit.1 » Laissons maintenant le député de Québec-Centre, Philippe Hamel, témoigner : « Enfin l’aube d’une ère nouvelle va commencer. Le peuple vient de terrasser le régime honni; il a affirmé à la face du monde qu’on a pu lui enlever tout, sauf l’honneur et la fierté2. »
L’élection de 1936 représenta bien plus un changement d’équipe au pouvoir qu’un changement de régime politique. Avec l’arrivée de Duplessis, le libéralisme économique resta à l’honneur, mais avec une couleur davantage de conservatisme social qui prit une teinte idéologique plus marquée.
Le discours du Trône de la 20e législature
Le 13 octobre 1936, dans sa réponse au discours du Trône de la session d’urgence qu’il avait convoquée, le nouveau Premier ministre Duplessis posa les bases de ses futurs succès électoraux en affirmant que « l’agriculture est l’assise fondamentale de tout le progrès économique de notre province » et que son gouvernement « va développer la colonisation comme complément logique et indispensable de notre développement agricole. » Ainsi, la seule mesure vraiment concrète de cette courte session parlementaire de 1936 fut la création du Crédit Agricole le 12 novembre au moment où l’agriculture traversa une des pires crises de l’histoire du Québec.
Ce geste valut à l’Union nationale l’appui indéfectible du monde rural (sauf à l’élection de 1939) alors que le découpage des circonscriptions électorales favorisait à cette époque la surreprésentation des régions rurales.
Le premier mandat de l’Union nationale préfigura le style qu’employa Maurice Duplessis à manipuler les promesses électorales en plus de peaufiner son style de leadership. Ainsi, toujours le 13 octobre 1936, pour narguer le chef de l’opposition libérale, Télesphore-Damien Bouchard, il affirma que « graduellement, aussitôt que possible, ces articles de notre programme, nous allons les appliquer tout un chacun. Nous allons faire, en un temps relativement court, 100 et 150 fois plus de bien que le gouvernement du passé en quinze ans. »
Le parti du « cheuf »
Après les élections de 1936, les idées de l’ALN furent rapidement mises de côté. Moins de six mois après le scrutin, les plus progressistes des députés de l’ALN, notamment Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel, entre autres, rompirent définitivement avec l’Union nationale pour former le Parti national, car Duplessis ne voulut pas mater les grandes centrales électriques privées. De retour dans l’opposition en 1939, Duplessis s’opposera à la nationalisation de la Montreal Light and Power, car il ne voulait pas que l’État se mêla d’interventionnisme économique.
Dans ce mandat, Duplessis se distingua davantage par sa lutte contre le communisme et les influences étrangères que par son nationalisme. On peut penser à la célèbre Loi du Cadenas adoptée en 1937 qui était censée contrôler la propagande communiste. Hormis la commission des salaires raisonnables et des mesures pour l’assistance aux mères nécessiteuses et aux aveugles, le premier mandat unioniste ne passa pas à l’histoire. Le gouvernement fut même un peu prodigue et Duplessis mena une vie passablement déréglée dans les standards sociaux de l’époque. Ainsi, il était célibataire endurci et aimait bien lever le coude à l’occasion, jusqu’à un séjour à l’hôpital en 1941-1942 à la suite d’une pneumonie et de diabète qui le força à arrêter définitivement de boire.
Maurice Duplessis était une bête politique qui n’avait pas son égal à son époque dans la sphère politique québécoise. Il fut un personnage controversé et habile, s’alliant le clergé et la population rurale qui furent les assises de ses succès électoraux. Très peu de premiers ministres québécois ont laissé dans la mémoire collective un héritage important, tant sur le point législatif, politique ou charismatique. Le Noblet fut l’un d’eux.
1. Le Devoir, 18 août 1936, page 2
2. Ibid, page3