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Stratégies singulières pour s’assurer de survivre jusqu’au printemps
Valérie Lépine avec la collaboration de Denis Paquette, botaniste – Dans une chronique précédente1, je faisais une recension des différentes adaptations qui permettent aux animaux d’affronter l’hiver. Les arbres, les arbustes et les plantes de nos contrées ont aussi développé des adaptations fascinantes pour survivre au froid. Je vous propose ici une incursion dans le monde mystérieux de la forêt hivernale.
Les arbres et les plantes ne peuvent migrer ou se cacher dans une tanière pour survivre au froid, ce froid qui rend si difficile la survie de tout être vivant. Les arbres et les plantes sont immobiles. Ils n’ont pas le choix d’affronter les pénuries hivernales. Leur écorce épaisse et leurs racines bien enfouies dans le sol assurent un premier niveau de protection. Mais ils ont également développé d’autres stratégies singulières pour s’assurer de survivre jusqu’au printemps.
Arbres feuillus
Les arbres feuillus se préparent dès l’automne à affronter l’hiver. La lumière qui diminue donne le signal aux arbres feuillus d’opérer une transformation spectaculaire : changer la couleur de leurs feuilles. La chlorophylle, responsable de la couleur verte, a besoin de beaucoup de lumière pour être efficace dans son rôle de productrice d’énergie. Les pigments orange, rouges et jaunes, eux, sont plus à même de tirer profit des faibles rayons lumineux.
La diminution de la luminosité active aussi chez les arbres la production d’éthylène qui permet la formation d’un bouchon de liège au bout de la tige des feuilles, bouchon qui entraînera la chute des feuilles.
À noter que les feuilles mortes jouent un rôle important pour les arbres : elles forment une couche protectrice au pied des arbres et protègent les racines du froid. Les feuilles mortes seront ensuite décomposées par les insectes et les champignons et serviront d’humus pour les arbres.
La formation des bourgeons est une autre adaptation développée par les arbres pour protéger leurs cellules de croissance des affres du froid. Les bourgeons entourent ces cellules de plusieurs écailles ligneuses. Les bourgeons se forment donc dès l’automne, croissent tout l’hiver et se déploient au printemps. Fait intéressant, il est possible d’identifier les arbres par leurs bourgeons durant l’hiver puisque chaque espèce arbore des bourgeons différents.
L’hiver, donc, les arbres décidus ont perdu leurs feuilles et ont protégé leurs cellules de croissance par des bourgeons. Par ailleurs, leur sève ne circule plus entre les racines et les branches, leur consommation d’énergie est à son plus bas et leur croissance s’arrête. Ils tombent en dormance. Pourquoi ? D’une part, comme on l’a vu, parce que la lumière se fait rare, mais aussi parce qu’ils n’ont plus accès à l’eau sous forme liquide.
L’eau sous forme liquide est essentielle à la survie des arbres. Elle sert à produire leur énergie. Mais lorsque les températures descendent sous le point de congélation, l’eau se cristallise et ces cristaux de glace peuvent endommager leurs cellules. Pour éviter cela, les arbres peuvent produire des protéines antigel qui aident à protéger les cellules des cristaux de glace. Leur physiologie leur permet également d’extraire l’eau liquide des cellules et de l’accumuler autour de molécules dites noyaux glaçogènes. La chute des feuilles est une autre stratégie développée par les arbres pour limiter la perte d’eau. En effet, puisque c’est par les feuilles que les arbres transpirent (perte de vapeur d’eau), la chute des feuilles est une adaptation inéluctable sous nos latitudes.
Conifères
La plupart des conifères conservent leurs aiguilles durant l’hiver. Comment font-ils alors pour survivre au manque d’eau et au froid ? C’est grâce à la morphologie particulière des aiguilles. Celles-ci sont étroites et longues et comportent peu de stomates (ces organes qui permettent la transpiration des arbres). La perte d’eau est donc réduite. De plus, lors de la saison froide, les aiguilles des conifères se couvrent d’une épaisse cire (appelée cuticule) qui limite la perte d’eau. La croissance des conifères est arrêtée durant l’hiver, mais puisqu’ils restent verts, ils peuvent produire de l’énergie par photosynthèse même lorsque les températures chutent sous le point de congélation.
Plantes forestières
Les plantes forestières ont aussi développé une panoplie de stratégies pour survivre au froid. Certaines d’entre elles, comme l’airelle rouge ou les lycopodes, poussent près du sol, ce qui les protège du vent et des particules de glace. D’autres, comme le raisin d’ours, ne sont ornées que de petites feuilles, ce qui limite la perte d’eau par transpiration. Pousser en colonie est une autre stratégie qui permet aux plantes de former une barrière contre le vent. Enfin, les poils qui couvrent les tiges, les bourgeons et les feuilles des plantes permettent d’affronter le froid. Le thé du Labrador, plante exclusivement nordique, arbore ce genre de poils sur ses feuilles et ses rameaux.
À l’instar des conifères, certaines plantes herbacées peuvent poursuivre la photosynthèse tout l’hiver. Par exemple, la dryoptère intermédiaire, une fougère très répandue dans nos sous-bois, reste verte tout l’hiver, même sous la neige. Son métabolisme est ralenti à cause du froid, mais elle parvient tout de même à poursuivre la photosynthèse (donc à synthétiser de la matière organique à partir entre autres de la lumière) en captant les rayons du soleil qui traversent la couche de neige.
Enfin, le type de plante détermine les stratégies d’adaptation au froid. Ainsi, les plantes annuelles meurent quand le sol gèle, mais leurs graines, qu’elles produisent en grande quantité, survivent au froid grâce à leur enveloppe résistante. La survie de l’espèce est ainsi assurée l’année suivante. À noter que ces graines contiennent l’énergie nécessaire à la croissance de nouvelles plantules. Les plantes vivaces quant à elles survivent au froid en perdant leurs feuilles et en concentrant leur énergie sous forme d’amidon dans leurs racines. Celles-ci, protégées par la neige, survivent au froid et ont emmagasiné suffisamment d’énergie pour permettre la croissance de nouvelles feuilles dès l’arrivée du printemps.
À propos du CRPF – Le Comité régional pour la protection des falaises œuvre depuis 2003 pour la protection et l’utilisation écoresponsables d’un territoire de 16 km² doté de caractéristiques écologiques exceptionnelles et s’étendant derrière les escarpements de Piedmont, de Prévost et de Saint-Hippolyte.
Cet article est publié simultanément dans le Journal des citoyens (Prévost, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs) et le journal Le Sentier (Saint-Hippolyte).
1. Animaux adaptés à l’hiver, décembre 2021 (https://www.jdc.quebec/2021/12/18/animaux-adaptes-a-lhiver/)
https://www.hww.ca/fr/enjeux-et-themes/la-faune-en-hiver.html