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La langue de chez nous
Gleason Théberge – L’espagnol, appelé la langue de Cervantès, auteur entre autres du grand personnage de don Quichotte au XVIe siècle. L’anglais est associé à William Shakespeare, poète du siècle suivant, dont plusieurs des pièces sont encore jouées, sept siècles plus tard.
Mais en notre Amérique, les Étasuniens pourraient plutôt dire que c’est de Mark Twain qu’ils utilisent le langage, lui dont les Tom Sawyer et Huckleberry Finn sont souvent présentés, dont par Ernest Hemingway, comme ayant vraiment ouvert la route aux œuvres subséquentes.
Quant au français, certains en parlent comme de celui de Rabelais, qui en a fait pétarader le jeune usage au XVe siècle en témoignant d’une vitalité de vocabulaire qui n’a pas été entièrement retrouvée depuis. D’autres, plus fréquemment, parlent plutôt de la langue de Molière (né Jean-Baptiste Poquelin) à cause de la justifiée longévité de ses pièces écrites au XVIIIe, à l’époque où la France était le pays le plus admiré d’Europe. On se rappellera, à son propos, qu’il a écrit et joué du temps de salons littéraires où certaines personnes se donnaient des surnoms guindés. Or, il est possible qu’il en aurait copié la mode en choisissant le sien de l’appariement de mots et lierre, de manière à s’enrouler à son entourage par ses écrits.
Il y a pourtant longtemps en francophonie américaine que nous eûmes à utiliser ce passé simple, qui dominait aussi dans les pièces de Corneille et Racine, ou le plus-que-parfait du subjonctif qui eût persisté si les usages avaient préféré, à l’écrit, ne pas avoir à accorder les participes passés. Nous avons en effet emprunté, inventé depuis, des tournures et des mots qui nous sont propres et conformes à l’esprit du français. Parmi de nombreux exemples, nos cèdres, officiellement appelés thuyas, patates (pommes de terre), chevreuils (cerfs de Virginie) et s’abrier (se couvrir) marquent notre différence. Mais notre jeune nation n’offre aucune comparable longévité à aucun de nos mains littéraires, car c’est l’écrit seul qui témoignait jusqu’à tout récemment de notre parlure.
En ne se fiant qu’au siècle dernier, le déferlement amoureux du rapaillé Gaston Miron, la douce plainte de La factrie de Clémence Desrochers, l’hiver pays et Les gens de mon pays de Gilles Vigneault, la richesse éclatante des Kamouraska d’Anne Hébert, les personnages entre tradition besogneuse et liberté solitaire de Germaine Guèvremont et les crapauds de la liberté du Félix Leclerc du Tour de l’île seront-ils lus et chantés au siècle prochain ?
Évidemment, on ne peut que l’espérer, mais comme c’est peut-être la chanson surtout qui a défini notre vraie manière de dire, j’aurais tendance à prétendre pour ma part que c’est d’abord par Mme Bolduc (Mary Travers) que fut célébrée la langue de chez nous, qu’elle en est la mère, en quelque sorte.