Le monde d’à côté

Ferme forestière - journal des citoyensYvan (à droite) en compagnie de Jonathan Maheu, ancien élève et cueilleur professionnel, lors du marché forestier hebdomadaire. Pour Yvan, il est capital de reconnaître la grande valeur du travail des cueilleurs. – photo courtoisie
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Fermes forestières 

Émilie Corbeil – Yvan Perreault fait vraiment ple in de choses – tout plein. Il a fondé, avec son frère, la ferme Au jardin des noix dans Lanaudière. Il est aussi le président du cercle des mycologues de Lanaudière et de la Mauricie (CMLM). Il anime des ateliers sur les plantes sauvages comestibles, il cuisine pour les autres à la manière d’un prêcheur : C’est bon ! Mangez-en tous ! Il agit à titre de consultant pour ceux et celles qui souhaitent fonder des fermes forestières. Et quand on lui parle, on en conclut forcément qu’il est philosophe, puisque tout ce qu’il fait concourt à bousculer l’ordre social tel qu’on le connaît.

Au bureau comme nulle part

Du 9 à 5 entre deux trains de banlieue, une vie sans sens. Un cul-de-sac duquel on ne tardera pas à voir le fond, selon Yvan. Pourquoi ? Eh bien, parce que le produit de ce travail n’a pas, a priori, de valeur. Se réclamant des physiocrates, Yvan pense que la richesse, la vraie, est produite par la paysannerie. De manière plus générale, il aborde la richesse comme forcément physique, palpable, au contraire du fonctionnement du marché actuel, où la production de richesse n’a plus grand-chose de concret et dépend en grande partie du jeu boursier. Si les échanges sont nécessaires, ils doivent, à son avis, prendre pour base la production de biens visant à se nourrir, à se loger et à se vêtir. 

Et de ce qui peut paraître évident émerge le reste. L’idée du luxe se transforme. Il devient le temps qu’on a, la chance d’étudier, la valeur du travail physique pour celui qui le pratique, le contact avec la nature – L’exécration du « binge watching » sur Netflix. L’hiver, Yvan étudie dans ses livres. Le reste du temps, il est dehors à cueillir, à cultiver ou à enseigner. 

Dans son monde à lui, il n’est pas possible de faire de l’argent avec de l’argent. Mais on peut manger, tous ! On peut avoir chaud l’hiver. On peut s’aimer. Et avec une énergie peu commune, ses bottines suivent ses babines. 

Depuis 2007 qu’il regarde ses arbres à noix nordiques pousser. C’est long, 15 ans. Mais maintenant ça y est. Il a des noix… Il sait comment les traiter et, à l’évidence, louvoie avec adresse pour les rendre commercialisables. Il les aurait bien mises dans des sacs bruns et vendues au poids, mais les gens veulent des beaux emballages et du prêt à consommer. 

Qu’à cela ne tienne : les intéressés peuvent toujours acheter en vrac. Et on espère que ces noix, qui ne sont pas communément consommées, séduiront par l’aspect chic qu’on leur donne et feront leur chemin comme des éléments de base au garde-manger des Québécois un jour.

Au Québec, on n’est pas ailleurs

D’entrée de jeu, Yvan Perreault explique au Journal que le Québec s’est magistralement trompé dans son développement agricole. Un constat d’échec qu’il est difficile de ne pas endosser. On cultive intensivement comme dans les grandes plaines, alors que nous n’en avons aucune. On y va à grands coups d’intrants – pesticides, herbicides, fertilisants, machines, combustibles fossiles. 

C’est probablement, en partie du moins, la faute de notre culture alimentaire. Blé, maïs, soya, plantes potagères habituelles : tomates, poivrons, carottes, alouette. 

Mais toutes ces choses que nous mangeons nécessitent de deux choses l’une : beaucoup d’intrants, ou beaucoup de travail. En somme, on se donne du trouble. 

Alors Yvan tente de montrer aux gens qu’il est possible de manger autres choses. Le 11 juin, c’était la fête de la quenouille. Apparemment riche et délicieuse à cette période de l’année, on en tire aussi une farine précieuse plus tard en saison. Pourtant commune, la quenouille reste à découvrir pour la majeure partie d’entre nous. On ne sait pas quand la cueillir ni comment la cuisiner.

Et il n’y a pas que la quenouille, nos milieux regorgent de champignons et de plantes comestibles. Des tonnes de nourriture sont, à notre insu, produites pendant la belle saison, et ce, sans jamais avoir nécessité quelque intervention humaine que ce soit. L’asclépiade produit des boutons de fleurs qui se mangent comme des brocolis. Le sagittaire latifolié, ou patate à canards, serait délicieux et se préparerait effectivement comme les pommes de terre. Il y a aussi le bleuet sauvage, le pois d’Amérique, l’oseille, le rosier sauvage et tant d’autres.

La forêt, c’est une ferme

Le principe de la ferme forestière est donc tout simple, il s’agit d’exploiter l’immense capacité de production de nourriture de nos forêts, et même de créer des forêts de toute pièce afin d’en augmenter la productivité et d’y produire une variété impressionnante de comestibles avec un minimum d’intrants et d’interventions humaines. Chez Yvan, il y a des arbres à noix qui protègent les arbres fruitiers des attaques des oiseaux. Il y a des champignons comestibles qui poussent à foison sur un substrat de bois raméal fragmenté qui a simplement été épandu sur le terrain. Il y a de l’ortie qui tapisse les abords du ruisseau. 

Peu importe la nature ou la grandeur de l’espace disponible, les principes de la ferme forestière peuvent être appliqués partout. Même à Montréal, Yvan a vu de magnifiques ruelles couvertes d’amélanchiers. Il y a aussi vu de l’asiminier trilobé (pawpaw). Ici, ce serait un peu trop froid pour en avoir, mais il tente, depuis plusieurs années, de relever le défi en plantant des spécimens qui seraient connus pour leur résistance. Le pawpaw, c’est notre plus gros fruit indigène. Sa chaire crémeuse rappellerait le goût de la banane et de la mangue. Pourtant, on n’en voit nulle part…

Nous avons, ici, des arbres à noix nordiques d’excellente qualité. Le noyer noir, le noyer cendré, le caryer ovale, le chêne à glands doux et le châtaigner d’Amérique, entre autres, devraient reconquérir les abords de nos boisés dans la province. – photo courtoisie


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