Chronique historique

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Daniel Machabée
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Le fleuve Saint-Laurent quelle galère!

Daniel Machabée – De tous nos symboles identitaires, le fleuve Saint-Laurent est celui qui nous définit le plus en tant que peuple, en tant que nation. Tout comme notre drapeau nous rappelle notre attachement à nos ancêtres français, le fleuve nous ramène à nos profondes racines en cette terre d’Amérique.

Le Saint-Laurent, dont nos poètes et nos chansonniers célèbrent l’immensité et la majesté à travers leurs œuvres, est un des grands fleuves du monde, à l’image du Nil, de l’Euphrate ou du Mékong, qui ont vu de grandes civilisations naître sur leurs rives. Les rives du fleuve, long de 3360 km, habitées et utilisées depuis des millénaires par les autochtones, devinrent la porte d’entrée des Européens qui vont s’établir à partir du XVIIe siècle de façon permanente. Classé lieu historique par le gouvernement du Québec le 20 juin 2017, il fait, « au-delà de son importance économique, partie intégrante de l’identité québécoise. Les légendes que le fleuve a fait naître, les textes littéraires et les œuvres picturales qu’il a inspirés témoignent de sa place dans l’imaginaire collectif des Québécois. On peut même voir une influence plus profonde encore, soit les nombreux termes du vocabulaire maritime qui sont passés dans le parler populaire du Québec1. »

Origine du toponyme

Bien que des pêcheurs d’origine basque vinrent tendre leurs filets dans le Golfe dès le début du XVIe siècle, on attribue généralement au Maloin Jacques Cartier l’honneur d’être le premier Européen à pénétrer dans ses eaux. D’ailleurs, le premier nom attribué au fleuve rappelle la présence des pêcheurs, car il fut nommé Rivière des Morues. Ensuite, lors de son second voyage en 1535, Cartier pénétra à l’intérieur du continent par l’estuaire et nomma cette voie d’eau Grande rivière de Canada, puis Grand fleuve de Hochelaga.

Cette appellation eut la vie longue et concurrença celle de Saint-Laurent. Outre Jacques Cartier, Jean Alfonse, pilote de Roberval, indiqua ce nom dans ses écrits de 1542 et 1544. Ensuite, le cartographe Nicolas Vallard inscrivit ce toponyme sur ses cartes de 1547. Enfin, en 1587, Jacques Noël, petit-neveu de Jacques Cartier, remonta lui aussi le fleuve jusqu’aux rapides de Lachine et utilisa aussi le nom Rivière de Canada.

 Il faut attendre un siècle et Samuel de Champlain pour que le toponyme Saint-Laurent apparaisse sur les cartes et s’impose définitivement. Cette appellation découle de la baye saint Laurens que Cartier avait donné à un rentrant de la Côte-Nord. On doit aux Espagnols la popularisation de ce toponyme. En effet, ils furent les premiers en 1552 à l’utiliser en traduisant les récits de voyage de Cartier. Puis, les Italiens firent de même en 1556. Enfin, le navigateur anglais Humphrey Gilbert le décrivit dans un document de 1583 : The great river called S. Laurence in Canada. Champlain n’a donc aucunement la paternité du toponyme Saint-Laurent, mais on ne lui en voudra pas d’avoir inséré ce nom célèbre dans ses esquisses de cartographie du cours d’eau. 

Des toponymes spécifiques à certains endroits du fleuve 

À l’arrivée des explorateurs européens, certaines parties du majestueux fleuve ont porté d’autres noms. Ainsi, la section comprise entre l’île d’Orléans et Cap-Rouge fut dénommée France Prime par l’explorateur Jean-François de La Rocque de Roberval, lors de son voyage en 1542-1543. Selon le folklore, il nomma cette partie en l’honneur de son roi, François 1er.

Plus tard, au courant du XVIIIe siècle, le segment du fleuve compris entre les lacs Saint-François et Ontario fut souvent nommé Rivière des Iroquois et de Rivière de Cataracoui. Cette dernière appellation provenait du nom autochtone du Fort Frontenac, site de la ville de Kingston, de nos jours. Cette voie navigable fut et est encore connue sous l’appellation La Rivière. Ce toponyme semble ancien puisque l’explorateur Louis Joliet et le géographe anglais Richard Hakluyt l’utilisaient déjà pour cette partie du fleuve au XVIIe siècle. 

Capricieux le fleuve ? Demandez à l’amiral Walker !

Inévitablement, puisque le fleuve Saint-Laurent permet de pénétrer à l’intérieur du continent nord-américain, c’est sur ses rives que les premiers colons vont s’établir. Tout au long de la Nouvelle-France, et même un peu après, on divisa le territoire en seigneuries qui partaient toutes du fleuve vers l’intérieur des terres en faisant un rectangle. Le fleuve sert depuis toujours pour le transport des marchandises quand celui-ci n’est pas gelé. Qu’on imagine, aux débuts de la colonisation, les habitants prisonniers de ses glaces, isolés et sans nouvelles de la mère patrie pendant plus de six mois pour comprendre la nécessité de dompter sa navigation douze mois par année ! Les premières tentatives de contourner les rapides de Lachine sont abandonnées en 1700. Il faut attendre le creusage du canal Lachine en 1825 pour réussir. Enfin, en 1844, on a creusé un chenail dans le lac Saint-Pierre afin de permettre le passage de plus gros bateaux, ce qui s’est terminé par l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent à la fin des années 1960.

Le fleuve Saint-Laurent est un des fleuves les plus capricieux du monde et sans doute celui où la navigation est la plus périlleuse. C’est l’unique fleuve au monde où les capitaines de bateaux doivent se faire guider par des professionnels formés au Québec. À l’époque de la Nouvelle-France, de nombreuses balises peuplaient le fleuve aux endroits dangereux. Lors de l’arrivée de la flotte anglaise commandée par le contre-amiral Durrell en 1759, les ingénieurs français enlevèrent les balises pour ralentir l’avancée des Britanniques. Or, les Anglais durent leur salut seulement en faisant prisonniers des Canadiens qui les guidèrent à travers les dangers du fleuve, malgré la présence en leur bord du célèbre explorateur James Cook.

En août 1711, la flotte de Hovenden Walker, forte de 12 000 hommes, tenta de pénétrer dans le fleuve afin d’aller conquérir Québec, encore une fois. Le 22 août, un épais brouillard enveloppa la flotte anglaise et un vent violent la poussa droit au virage. Un pilote canadien nommé Paradis, prisonnier des Anglais, conseilla à l’amiral de louvoyer au large. Son avis sembla louche et ne fut pas écouté. Or, en moins de deux heures, huit des transports allèrent se briser sur les rochers de l’Île-aux-Œufs et la foudre en fit sauter un autre. Plus de 900 hommes périrent. À la suite de cette catastrophe, l’amiral Walker prit peur et retourna en Angleterre. En arrivant à Spithead, le vaisseau amiral prit feu, tuant 400 autres personnes. Les Anglais étaient bons pour attendre presque 50 ans avant de revenir dans nos eaux et de réussir l’inimaginable…

  1. Source : Conseil du patrimoine culturel.

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