Les Weskarinis

Les weskarinisTerritoire Petites nations
Salle de Nouvelles
Les derniers articles par Salle de Nouvelles (tout voir)

On leur doit de se souvenir

Marc-André Morin – Que sont devenus les autochtones des Laurentides ? On les appelait Petite Nation à cause de leur petit nombre. Eux-mêmes s’appelaient Weskarini qui signifie Gens du chevreuil. Ils vivaient au cœur des Hautes-Laurentides entre la rivière du Lièvre et la rivière Rouge, de l’Outaouais jusqu’au parc du Mont-Tremblant. À l’abri des conflits de la vallée du Saint-Laurent, ils menaient une vie paisible de chasseurs cueilleurs.

Lors de la guerre de 1812, les Américains s’étaient emparés du fort de Cornwall, coupant la circulation fluviale entre le Bas et le Haut-Canada. À court de soldats pour affronter les troupes américaines composées de frontiermen endurcis par des années de guerres intenses, après quelques tentatives infructueuses pour reprendre le fort aux Américains, les Habits Rouges britanniques avaient baissé les bras. Ils se rendirent voir les Weskarinis pour leur proposer un marché. Monter un petit régiment pour aider à reprendre le fort en échange d’une certaine garantie de protection de leurs droits territoriaux. 

Les Commanda, une histoire

Le chef qui avait pris l’entente très au sérieux a accepté le grade de commandant qu’il a même gardé comme nom de famille. Le nom est devenu Commanda, probablement pour accommoder la phonétique algonquienne; c’est le nom que portent les descendants qui vivent à Kitigan-Zibi aujourd’hui. Ses troupes se sont battues avec courage et ont repris le fort pendant que les officiers britanniques les regardaient se battre pour eux.

Après la victoire, les Weskarinis sont remontés au lac Nominingue continuer à trapper et chasser le chevreuil. Après la rébellion de 1837, les autorités coloniales avaient contracté une dette envers les immigrants britanniques sans terres ayant participé à la répression contre les Patriotes; elles ont distribué en récompense aux auteurs de la répression une grande partie des terres des Weskarinis. Voyant l’expansion de la colonisation anglo-protestante progresser vers le nord, le curé Labelle a accéléré son projet de colonisation pour bloquer l’adversaire avant qu’il atteigne Saint-Jovite. La limite fut établie dans un coude de la rivière Rouge : Arundel et les Anglos-Protestants d’un bord et à Huberdeau, les catholiques de l’autre.

À mesure que les curés montaient vers le nord, les autochtones trouvés sur leur chemin devaient se plier à de nouvelles règles à mesure qu’ils découvraient des concepts comme la propriété privée. Pour les catholiques, chaque fois qu’ils francisaient un nom autochtone, un Canard blanc devenu Leblanc, ça devenait un paroissien et une preuve d’occupation du territoire, une base démographique pour le projet de colonisation. Ceux qui ne se conformaient pas étaient déclarés squatters et risquaient l’expulsion. En 1938, une seule famille vivait encore libre sur ses terres ancestrales. Joseph était resté sur sa ligne de trappe au pied du mont Tremblant, sa petite maison avec son petit carré de maïs était juste en bas d’où sont les télésièges aujourd’hui.

Tout allait bien jusqu’au jour ou deux petits Buick noirs de la police provinciale sont venus lui annoncer que le terrain avait été vendu et que dans quelques heures ils seraient, avec toute sa famille, résidents de la réserve de Maniwaki.

Le premier autochtone que j’ai connu s’appelait William Comman-da, il vivait au lac Cyprès dans une cabane de trappeur, c’était le fils de Joseph; absent au moment de la rafle, il n’a plus quitté son refuge et allait troquer ses fourrures du côté de Saint-Michel-des-Saints. Ces temps-ci, tout le monde se demande ce qu’on peut faire pour réparer les injustices du passé. Monsieur Ryan a contribué au développement de Mont-Tremblant, mais ne serait-il pas plus avisé d’honorer une famille et un peuple indigène qui a combattu pour défendre le pays plutôt que réserver les honneurs à un homme qui a fait fortune en achetant pour une chanson la plus belle montagne du Québec qui appartenait à une famille autochtone. Quand j’ai connu William Commanda, il était très fier d’être le cinquième du nom à transmettre l’histoire de sa famille et de son peuple. Que cette histoire et ce nom n’apparaissent que sur un petit pont et quelques bouts de rues, c’est ça, de l’acculturation. Le nom de Weskarinis mérite un peu plus, même s’ils se voyaient appartenir à la terre plutôt que d’en être les propriétaires. 

Montée Ryan ou Montée Joseph Commanda ?

Les Commanda ne sont pas une espèce disparue, ils sont encore nombreux à vivre à Kitigan Zibi. Je me demande à quoi ils pensent sur la route 117 en voyant la montagne où chassaient leurs ancêtres, changée en parc d’attractions pour touristes chinois avec faux village tyrolien et rangées de condos identiques donnant un air soviétique à la montagne. Le pire pour eux, ça doit être de voir le boulevard qui s’y rend porter le nom de celui qui a provoqué l’expulsion de leur famille. Renommer la montée Ryan, montée Joseph Commanda, serait pour les Autochtones une reconnaissance deux cents ans en retard. Pour nous tous ce serait une occasion, même si nous avons vendu ce qu’ils ont défendu pour nous au péril de leurs vies, il est encore possible de leur témoigner un peu de respect et de souligner leur contribution.

print