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Mots et mœurs
Gleason Théberge – En ces temps de distanciation, être bienséant c’est avoir la politesse de respecter la personne qu’en temps normal on fréquenterait de plus près. Dans notre région, en semaine, par exemple, si on se fait côtoyer, la personne fautive s’écarte dès qu’elle s’en aperçoit, et les sourires mutuels servent d’excuse.
On peut aussi parler de politesse, un mot qui ne vient pas du mot grec évoquant la ville et ayant conduit à la politique ou à la police, nais plutôt du verbe polir (embellir, adoucir). Une autre forme en est la civilité, de provenance latine, qui oppose les civils aux militaires. La Révolution française a un temps effacé cette distinction en privilégiant le terme citoyen.
Politesse et civilité évoquent le fait de se comporter de manière convenable, selon la bienséance habituelle, une cousine du fait d’être assis (sur son séant), c’est-à-dire stable, comme en séance. L’assiette, de même origine, désigne ainsi la stabilité. Être dans son assiette, c’est être bien, à sa place. Le mot a ensuite dérivé vers le plat où l’on prend sa nourriture personnelle, au cours de repas où il convient aussi de faire preuve d’urbanité.
Or, en latin, l’urbs, c’est la ville, celle de la bénédiction papale urbi et orbi, c’est-à-dire qui est donnée à Rome (la ville) et pour tout le globe (l’orbe). L’urbanité, qui en provient, évoque l’attitude cultivée qu’on attribuait aux citadins par rapport aux rudes habitudes des paysans. Mais le monde a changé, puisque ces temps-ci, les fins de semaines surtout, on dirait que le vieux principe de bienséance est moins bien appliqué. D’après ce que plusieurs observent, des visiteurs, urbains surtout, probablement de Montréal (et de Laval ?), nous bousculent et s’impatientent en donnant l’impression de nous prendre pour de négligeables vilains… un ancien mot qui, contrairement à l’apparence, ne vient pas de ville, mais de ces villasque les Romains se faisaient construire en campagne et qui a conduit au mot village. Être vilain, pour eux, c’était avoir les manières de gens peu cultivés (!).
Or, ces gens des banlieues ou des villages (les quatre-cinq-zéro), dont certains montréalistes se moquent encore, ne sont pourtant plus ces incultes de jadis. Notre scolarisation désormais générale et l’accès facile aux informations, en sont des facteurs majeurs, mais c’est probablement surtout notre moins grande densité de population qui contribue aux différences de comportement observées. Quand on est habitué aux foules, être juste un peu à l’écart de l’autre peut paraître suffisant; mais chez nous, pour qui l’environnement est synonyme d’espace, il en va tout autrement.
Heureusement, dans nos épiceries, l’inconduite de certains de ces citadins ne conduit pas aux anciennes violences que rappelle le refrain :
À la pêche aux moules, moules, moules / je ne veux plus aller, maman
Les gens de la ville, ville, ville / m’ont pris mon panier, maman