Yves Lambert trio

Gisèle Bart
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Quand le folklore visite l’excellence

Gisèle Bart – Le 9 juin 2018, dernier spectacle de la Saison 2017-2018 à Diffusions Amal’Gamme, toujours en la Salle St-François-Xavier à Prévost, voici qu’approchait la Saint-Jean. Or, en cette circonstance, du Traditionnel Québécois, voire du Folklore, sont toujours bienvenus. Un minimum de leur présence nous manquerait autant je crois que tout un «Temps des fêtes» sans reels, sans tourtières et sans ragoût de boulettes. Pour ce, le Yves Lambert trio, récipiendaire du Prix Félix Leclerc 2018 de l’album traditionnel avec l’opus Laissez courir les chiens, avait été choisi.

Sur scène, épars, la dizaine d’instruments qui dans quelques minutes nous réjouiraient les oreilles. Au fond, toujours présent à pareille date, un fleurdelisé géant. Dans la salle, une assistance nombreuse.

S’amènent les compères. Yves Lambert, chapeauté, lunettes fumées, cheveux mi-longs et barbe grisonnants, large sourire aux dents blanches et gourmandes. Il nous égayera de sa voix puissante, de ses deux accordéons, de sa guimbarde et d’un certain sifflet. Suivent Olivier Rondeau, lunettes au front et guitare aux mains, qui jouera également du banjo ainsi que de sa voix. Enfin, Nicolas Babineau avec son violon, pieds posés sur une sorte de planche dont nous apprendrons que c’est un véritable instrument de percussion servant à la podorythmie. Une soirée décontractée s’annonçait.

Décontractée? Vraiment? Peut-être! Mais non sans rigueur. « Ma religion, c’est la musique » clamera M. Lambert d’entrée de jeu, de sa voix tonitruante tout à fait en accord avec son physique imposant. « Ma religion c’est la musique! », ça s’entendra! Et c’est avec un irréprochable professionnalisme que ce trio se consacrera à cette maîtresse, exigeante s’il en est.

Il y aura l’incontournable Dans nos vieilles maisons, « le plus bel hommage qui soit à l’hospitalité des Québécois ». Il y aura un manifeste, Dans le bayou St-Laurent : « Coupent les arbres, puis les stationnements poussent ». Il y aura ce savoureux langage de temps révolus : « J’ai une fille à marier, je veux qu’il en soit parlé. » Pendant un instant, on se serait attendu à voir apparaître Louis XIV! Tout cela scandé de la voix magnifique de M.Lambert, de ses doigts agiles sur ses accordéons, le chromatique et le diatonique : « Les doubles-croches, j’commence à connaître ça en maudit! » Il se ruinera les babines sur son harmonica et sur sa guimbarde et le son nous parviendra même parfois d’un petit sifflet, « plus facile à mettre dans ma poche qu’une flûte », me confiera-t-il en riant à la sortie. Pendant ce temps, inlassablement, Nicholas frappera des pieds sur sa planche et tour à tour, professionnels, les différents instruments vibreront sous les mains expertes d’Olivier. Sporadiquement, leurs belles voix, justes et claires. s’élèveront en accompagnement. La langue et l’accent de M.Lambert, délibérément du temps jadis, s’émoustilleront dans les « mémoères ». Il ira de « légearte » à « itou » à « moé », « régiboère! » On distinguera un p’tit accent français de café de Paris dans Le lys tigré», puis celui d’Italie à la mandoline, que viendra angliciser la guitare. Une belle note aigue à l’accordéon viendra nous déchirer l’âme, comme on fait d’un tissu fragilisé. Il y aura un autre niveau de transe dans Suite pour Justin, une chanson de 1857, du temps de Alphonse Daudet. Il y aura comme il se doit des reels et des chansons à répondre que Lambert pianotera dans les airs sur un clavier imaginaire. Il y aura des effets spéciaux dans Les Oripeaux de ma mignonne. Il y aura en permanence le grand rire engageant de Lambert qui nous présentera une pièce « plus comme un ragoût qu’un reggae ». Il fera lever l’assistance et l’engagera à frapper des mains et des pieds. Sa tête constamment secouée de gauche à droite jouera le rôle d’un métronome vivant, chapeauté de blanc comme un « spot » de plus sur la scène. Quelques « Crisse » inopportuns plus contemporains me heurteront, mais ça, c’est personnel.

Après un rappel réclamé bruyamment, il nous souhaitera la santé, l’amour, la compassion « pis tout’ le kit ». « Quant à moé » ajoutera-t-il, « je vais faire de la zigue aussi longtemps que je vais pouvouère ».

Ce fut une joyeuse Pré Saint-Jean, de grande qualité, laquelle, dans mon enthousiasme, je ne résiste pas à la tentation de qualifier d’excellentissime.

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