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Esthétisme, épices et détente
Diane Brault – Tous les petits ou grands voyages valent la peine d’être vécus. Quel qu’en soit la forme, la durée, l’intensité, il y a l’avant, l’après, le petit ou le grand saut selon la distance à parcourir. Il y a de multiples raisons de partir.
Les aventures se rêvent, se mûrissent, se préparent, s’anticipent et se réalisent le moment venu. Voyager donne des émotions. Cela oblige à se redéfinir, à savourer l’instant présent, à se retrouver au cœur d’univers humains culturellement différents.
Décembre, direction sud. Atterrissage sur l’île de La Grenade. Quinze jours à regarder écouter, respirer et goûter l’île. Bords de mer conservés à l’état naturel. Minibus et taxi fortement équipés en musique locale diffusée en stéréo et qui se mêlent au son des klaxons et des conversations. Nous avons roulé avec eux sur les chemins étroits et escarpés. Proximité, rencontres, hommes, femmes, enfants, ruraux, urbains, natifs, immigrés. C’est le pays du « you’re welcome » et du rumshop et BBQ au bord de la route. Ces multiples établissements fréquentés par les autochtones. Souvent, ils n’ont que quatre murs en bois, avec un petit bar, parfois même sans chaises ni tables. Les rumshops et BBQ sont partout.
La Grenade est un délice d’esthétisme naturel et architectural. Paradis pour photographes et pour ceux qui aiment être sur l’eau ou sous l’eau. La mer est magnifique et tempérée, toutes les plages sont accessibles sans exception, esprit communautaire oblige.
Située dans la mer des Caraïbes à proximité du Venezuela, La Grenade est davantage antillaise avec ses « rasta men », sa musique calypso (Steel band) omniprésente, et son Friday Fish Festival hebdomadaire à Gouyave. La culture globale de l’île est un mélange d’influences. La politique et les institutions sont à l’image des conquérants anglais et français, la vie culturelle et familiale est vécue à l’africaine.
À une certaine époque, l’union des premiers habitants indigènes aux esclaves noirs afin de triompher des envahisseurs esclavagistes a donné aux Grenadins un grand sens de l’identité et de la résistance ainsi que le désir de protéger leur culture. Fiers de leur île, ils la décorent abondamment aux couleurs nationales (le vert, le rouge et jaune)
Que mange-t-on à l’île aux épices ?
Fraicheur, variété, qualité et goût. La terre et la mer sont généreuses (climat tropical et terre volcanique) et les gens de l’île savent marier les saveurs. Poisson du jour, viande longuement mijotée dans les épices produites dans l’île que l’on déguste en cafétéria à Saint-George, jus d’ananas local dans lequel on verse du rhum au goût exceptionnel. Impossible de résister à la crème glacée aux amandes fraîchement cueillies ou à la muscade faite maison par Agnès, la gardienne de l’église et de l’historique cimetière de Sauteurs.
Cette île est un si bel endroit que les voyageurs qui y ont séjourné voudraient la garder en secret tant son paysage, sa végétation, son climat et ses habitants sont appréciés.
La population est favorable au tourisme. Cela renforcit et stabilise la fragile économie locale basée sur l’agriculture et la transformation des produits pour l’exportation (coopératives).
Mais cette même population est attachée au rythme de vie lent et modeste du pays. Ils ne souhaitent pas un avenir à l’image du reste des Caraïbes, hyper développé en tourisme de masse, paradis fiscal et blanchiment d’argent, mais il faut vivre. Maintenant, il y aurait du changement dans les Caraïbes, les Américains semblent perdre du terrain au profit de la Chine.
Depuis l’ouragan Yvan en 2004, l’île a été préservée des cyclones de par sa situation géographique. Les Grenadins savent cependant que la nature tout comme les envahisseurs impérialistes puissants et riches de toutes les époques, n’épargnent personne.
Le lieu de tous les possibles
Annie et Philip Clift possèdent un hôtel à Petite Anse. Rien de standard. C’est le point le plus tourmenté de l’île qui offre une vue imprenable qui s‘étend jusqu’aux Grenadines. Les sons de la mer et du vent y sont omniprésents. Ils nous rejoignent la nuit dans nos rêves.
Annie a été infirmière en psychiatrie. Elle et Philip étaient agriculteurs dans le Worcestershire en Angleterre. Après les bovins, ils optèrent pour la gestion d’une auberge et pub. En 1976, ils abandonnèrent le houblon afin d’explorer les Caraïbes. Un voilier de 57 pieds devint leur maison. Bon vivant, le couple est devenu croisiéristes. Ils ont amené une multitude de gens sur la mer des Caraïbes.
Selon la Banque Mondiale, après la dévastation de l’ouragan Yvan, 90 % des habitations sur l’île furent détruites et 69,4 % de la population ont fui vers les É.-U., le Canada et le Royaume-Uni en 2005. C’est dans ce contexte qu’Annie et Philip ont laissé le navire et acheté un bout de terrain couvert de jungle. Pas question de retourner dans le climat de l’Angleterre.
Le griffonnage du plan d’une maison s’est transformé en un projet audacieux, la création d’un hôtel de villégiature de style chalet à la proximité de la mer. « Une excitante, mais folle aventure », raconte Annie dans un français bien maîtrisé.
Une énergie non conformiste émane de ces deux êtres. En cinq années, ils sont passés d’une idée à l’inauguration officielle de Petite Anse Hôtel (2009). Tous les bâtiments furent construits par Philip avec l’aide d’une petite équipe locale, nous raconte Annie avec émotion. Il y eut des difficultés. Une excavatrice renversée, des pluies torrentielles, la chaleur tropicale, la jungle, les moustiques et un incident impliquant Philip et un tuyau. Rien n’a miné leur détermination.
Remarquables par leur engagement dans leur communauté d’adoption, les Clift ont toujours inclus les entreprises locales et les gens du pays pour le fonctionnement de l’hôtel. Continuellement préoccupé des besoins humanitaires et environnementaux dans l’île, Philip a entre autres, couru le marathon de Londres pour ramasser des fonds pour réparer le centre communautaire.
Histoire politique
Il y a 34 ans, les Américains ont envahi l’île de La Grenade militairement parce que Washington jugeait que le gouvernement de l’époque dirigé par Maurice Bishop était trop proche des régimes communistes soviétique et cubain. Dans l’actuel contexte économique difficile pour l’île, la Chine offre au gouvernement de Keith Mitchell, un plan stratégique massif inventé par Pékin. Il s’agit d’investissement de plusieurs milliards de dollars en infrastructures, routes, train encerclant l’île, plusieurs ports en eau profonde pour cargos et bateaux de croisières, parc éolien, aéroport ultramoderne et développement d’un tourisme chinois.
Pékin vise aussi l’accès au marché offshore comme paradis fiscal pour les particuliers et entreprises chinoises. Les accords que le Canada et les États-Unis font pour mettre fin à l’évasion fiscale dans les Caraïbes, mettent en danger les revenus des pays fragilisés par les dettes accumulées en raison des ouragans, ce qui favorise la présence de la Chine, de plus en plus visible. C’est un plan majeur qui pourrait changer complètement le style de vie décontracté et naturel que la population souhaite conserver.
La Chine est la cible actuellement dans le monde, de critiques en relation avec ses efforts en matière de développement extérieur, dont les Caraïbes. Des entreprises locales souvent exclues des projets, des contrats donnés à des entreprises chinoises dans le cadre d’un processus d’appel d’offres fait en secret. Des promesses de création d’emplois qui sont souvent insuffisantes et qui reposent principalement sur les ressortissants chinois.
« Tout paraît beau et facile pour les gens qui viennent en vacances pour une courte période », me confie Annie… « mais la réalité de la vie dans l’île aux épices est tout autre ».
http://www.scmp.com/news/china/diplomacy-defence/article/2124925/china-set-move-united-states-backyard-national