Tout pour toute

Gleason Théberge
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Mots et mœurs, de Gleason Théberge

Gleason Théberge – Tout est un séducteur, qui peut se réclamer de quelqu’un d’autre ou adapter son comportement aux préoccupations de chez qui il arrive. Pronom, il s’impose comme sujet ou complément et prend la personnalité de celui, celle, ceux ou celles pour qui il se fait passer. Ainsi devenu tout, tous ou toutes, il incite à s’accorder avec lui ou joue le rôle de confident en complétant les attentes pour former une phrase complète. Tout lui est alors accordé, tous lui sont attentifs et toutes l’écoutent, surtout quand il dit tout, se soucie de toute, converse avec tous et répond à toutes.

Placé devant l’adjectif masculin ou féminin, il lui arrive ainsi d’évoquer un groupe caractérisé par une même qualité, comme des aventuriers quand ils reviennent d’une excursion tous [touss] contents, sans exception, ou que des nageuses synchronisées soient toutes applaudies au sortir d’une compétition.

Tout fait d’ailleurs aussi preuve de souplesse  au masculin, féminin, singulier ou pluriel, quand il apparaît comme déterminant avant le nom, comme savent qu’il peut le faire tout le monde, toute population, tous les individus et toutes les personnes.

Or, contrairement au tout pronom ou déterminant, il peut se montrer plus distant quand il agit en adverbe. Alors insensible aux autres, tout s’affirme invariable avant un adjectif masculin, singulier ou pluriel quand il signifie très ou vraiment : qu’il s’agisse d’un soupirant tout embarrassé ou de galants tout ensorcelés.

Tout sera aussi invariable devant un adjectif féminin dont la voyelle initiale fait sonner le T final, comme pour une prétendante tout émue, ou des amoureuses tout attendries, où l’on entendra le féminin de [toutémue] et [toutattendrie], comme s’il était écrit toute émue et toute attendrie.

Or, même adverbe, s’il précède un adjectif féminin ne commençant pas par une voyelle, il midifiera sa forme neutre pour qu’on perçoive ce féminin autrement toujours entendu. Courtois, il aura alors la noblesse de s’accorder avec sa compagne toute ravie (très ravie) ou ses amies toutes charmées (très charmées). Sinon, ce qu’on entendrait serait [compagne tout ravie] ou [amies tout charmées], où la disparition du féminin attendue étonnerait.

Adverbe, en effet, tout ne s’accorde et ne s’écrit au féminin singulier ou pluriel que s’il n’y a pas d’autre moyen de faire entendre le féminin.

Comme quoi la langue n’exerce pas le sexisme qu’on lui reproche parfois.

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