Le sourire de la passion

Jeune pianiste, Philippe Prudhomme
Gisèle Bart
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Philippe Prudhomme

Gisèle Bart – « Si c’était une fille, je l’appellerais une fée. Comme c’est un garçon, je le nommerai un fée, un fée…nomène ». Ainsi M. Yvan Gladu présentait-il le « jeune pianiste virtuose » Philippe Prudhomme invité de Diffusions Amal’Gamme à Prévost, le 28 mai.

« Jeune virtuose », ce devrait être la dernière fois qu’on le surnomme ainsi. En effet, ayant obtenu trois fois le premier prix au Concours de musique du Canada depuis 2009, ayant atteint l’âge de 25 ans, étant compositeur, nous pouvons désormais l’appeler « grand pianiste virtuose ». « Que la fête commence! » lancera-t-il avant de gagner son tabouret.

À part Schubert, dont il jouera un « hit » avec le même enthousiasme qu’un rocker joue son rock, à part Chopin le rebelle et Liszt le marathonien, Philippe s’attaquera à des « modernes », Scriabine, Prokofiev, Rachmaninov et notre lauréat de Québécois, M.-A Hamelin.

De Scriabine, Philippe nous avouera qu’il est son compositeur de prédilection à tel point qu’il se propose d’en faire le sujet de sa thèse pour son imminent doctorat. Cela s’explique. Le volcanisme de ce compositeur ne peut que rejoindre un musicien né à la fin du XXe siècle et dont la carrière se déroulera au XXIe. La pièce choisie, orageuse, parfois lugubre, a été écrite par un Scriabine qui, à seulement vingt ans, venait d’apprendre qu’il ne pourrait mener une carrière de pianiste à cause d’une blessure à la main. Cette pièce bouleversante sera talentueusement jouée, pédale prolongée sur une note nébuleuse, impressionnante gamme chromatique. Au 4è mouvement, Philippe, entré dans le monde intérieur de cet être désespéré, compatit à sa peine. Nous avons ici en particulier la justification du titre du programme de ce soir, Profondeur et Virtuosité.

Au 2è mouvement d’une œuvre de Prokofiev, Philippe se tire brillamment d’une difficulté notable, jouer des notes sombres de la main gauche tandis que la main droite doit soutirer du piano de légères notes cristallines. Écrite au décès d’un ami, la pièce se termine comme une guirlande lumineuse suspendue au-dessus du gouffre et, de toute évidence, notre pianiste encore jeune a « du fun » à jouer le compositeur de Pierre et le loup. PAUSE.

Un limpide Hamelin, un Scriabine différent, frénétique cette fois, jazzy, enrobé par le toucher délicat autant que viril d’un Philippe polyvalent, un autre Scriabine qui possède l’âpreté habituelle de la musique classique dite « moderne » et qui fait sourire de satisfaction le pianiste lui-même, voilà la suite du programme. La dextérité exigée est telle que le mouvement des doigts est imperceptible.

Un Chopin nostalgique de sa Pologne suivra. Encore une fois, une dextérité extrême, exploit phénoménal, M. Gladu nous avait prévenus. Puis, ce sera Rachmaninov, celui qui, à l’instar de Chostakovitch, « porte la charge du peuple russe » à une époque tourmentée de son histoire, celle du début du XXe siècle, ceci contrairement à Scriabine et à Prokofiev dont les œuvres sont essentiellement introspectives.

Inlassable, Philippe nous offre une œuvre sublime de Liszt, réflexion philosophique et existentielle, laquelle oscille entre doutes et certitudes. La pièce se termine en une ascension fulgurante voulue par Liszt, exécutée avec succès.

En rappel, deux pièces. L’une composée pour sa grand-maman présente dans la salle. J’intitulerais ce morceau Berceuse pour ma grand-maman tant il est doux et mélodieux. Enfin, un Ennio Morricone tiré du film La légende d’un pianiste, un morceau introspectif de fond et ultra moderne de forme.

Philippe Prud’homme, après un geste large et triomphant nous gratifie d’un protocolaire salut. Puis, une dernière fois, il nous éclabousse de son éblouissant sourire avant de voguer allégrement vers un ailleurs certainement lumineux.

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