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D’abondance et de puissance
Gisèle Bart – Après le concert du 26 mars, à Prévost, où le pianiste Gianluca Luisi nous interprétait les transcriptions pour piano seul par Liszt de grands airs d’opéra, je ne peux m’empêcher de lire le mot « géant » dans le prénom Gianluca.
Étant passionnée de musique, mais non férue, étant mélomane, mais non musicologue avec toutes les lacunes que cela comporte, à la fin de ce concert je me suis adressée à un auditeur que je savais musicien classique : « À votre avis, puis-je me permettre de penser que le pianiste aurait un peu interprété en ajoutant des notes ? » La réponse fut sans équivoque : « Absolument pas ! Liszt écrit ainsi, avec cette multitude de notes. Il existe même un opus de Liszt que les pianistes sont forcés de mémoriser car sur scène ils ne pourraient déchiffrer la partition tant il y a de notes. » Ainsi renseignée, mon admiration s’est encore accrue non seulement pour le génie du compositeur dont nous venions d’entendre les œuvres, mais aussi pour l’immense pianiste qui venait de nous les interpréter avec autant de fougue, de puissance, de précision et d’intériorité tout à la fois, un exploit.
Car, certes, les prestations de Gianluca Luisi furent toutes et chacune des prouesses de virtuose, mais ce qui m’a frappée tout au long de ce concert c’est l’intensité et la profondeur de l’émotion qui se dégageait de lui pour nous atteindre et nous pénétrer de la tête aux pieds, du cœur jusqu’à l’âme.
Se succéderont un solennel et ténébreux Don Carlos (Verdi/Liszt) avec quand même le ruissellement d’un rayon qui se faufilera pour nous parvenir. Suivra un orage intérieur, l’expression d’une douleur cuisante, grondement dans les basses, roulement continu, jeu de puissance du pianiste avec malgré tout une lueur d’espoir, Miserere del Trovatore (Verdi/Liszt également). Une pluie de confettis de lumière nous inondera, gammes chromatiques et arpèges époustouflants parsemés d’innombrables trilles, la joie d’oiseaux joyeux, dans Valzer di Faust (Gounod/Liszt). Après quoi Luisi se concentrera plusieurs secondes pour affronter le fameux Rigoletto (Verdi/Liszt) qui, selon lui, serait la transcription d’opéra par Liszt la mieux réussie. Joie, allégresse, encore une fois trilles et arpèges athlétiques, c’était de la musique, mais aussi de la parole, le frémissement de deux âmes qui dialoguent.
Après l’intermission, Luisi avait eu la bonne idée de regrouper les deux Wagner/Liszt. D’abord Isoldes Liebestod. Au premier accord longuement prolongé par la pédale, on reconnut Wagner. Recueillement, douceur, une supplique insistante. Elle recevra, semble-t-il, sa réponse dans la prochaine et dernière pièce, Tannhauser Overture où, après un début des plus lugubres, acceptation, soumission, le pianiste nous guidera comme un forcené vers la finale. Wagner via Liszt l’annonce au monde entier, il a reçu quelques réponses aux éprouvantes questions existentielles, hantise des humains. Insistance… toujours l’orgie de notes de Liszt… dramatiques accords si exigeants de la part d’un pianiste, mais que nous apprécions tant… Assis sur le bout de notre siège, nous attendons ces accords le cœur battant, les mains prêtes pour les applaudissements qui montent en nous et que nous avons peine à retenir.
Il n’y aura pas de rappel. Que les saluts émouvants d’un homme vidé de ses forces, un pâle sourire sur son visage, sa main sur son cœur.
Soyons honnêtes, un rappel n’était pas nécessaire. Cet événement bien serré sur notre cœur comme un cadeau précieux, nous pouvions quitter les lieux. Nous étions comblés.